dimanche 16 décembre 2012

De l'écriture...



 

Un jour - et ce jour vient du plus loin de vos années d'orages, de pluies, d'errance - un jour vous vous mettez à écrire, à écrire vraiment. Et brusquement vous êtes dans la fraîcheur d'une aube et cela vous suffit . Chaque mot surgit d'une rosée généreuse. Vous, vous n'avez qu'à l'accueillir dans le silence, reconnaissant d'être encore en vie et de pouvoir sentir le flot du sang envahir toute la langue.
Ce jour-là, vous vous retrouvez loin de tout et pourtant vous n'avez jamais été si vivant. Vous êtes dans une désolation lumineuse et cela vous suffit. Vous êtes perdu et c'est justement cette perte qui vous ressuscite. Vous êtes perdu et tout vous paraît plus clair, plus net, plus définitif, plus impératif.
Renaître après des siècles d'agonie.
On n'écrit jamais pour plaire ou séduire, on écrit pour se retrouver. Chaque mot vous rapproche d'un lieu inconnu plein de mystère, un lieu inévitable.
Car écrire prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l'enfance, un rêve commencé lorsque vous étiez blottis dans le plus fragile abandon du regard de la mère, qui vous avez sacré - vous si infirme - roi si rayonnant.
Oui, écrire c'est d'abord retrouver ce sommeil plein de couleurs et de chaleur où l'amour n'est pas promis mais donné comme une éternité, offert comme la première nourriture et la seule dont vous n’aurez jamais besoin.
Ecrire vous fait retrouver ce rêve où vous n'êtes là pour personne sauf pour le murmure incompréhensible et attendri d'une mère devenue folle parce qu'elle s'est enfin oubliée et qu'elle divague dans les méandres de votre visage.
Un jour vous écrivez, et c'est ce seul murmure qui compte parce que lui seul peut couvrir le vacarme du monde. Vous ne saurez jamais si cela peut faire un livre, vous êtes dans le pur bercement de la langue, dans l'oublie de votre propre présence, dans cette musique qu'il faut prolonger jusqu'à la fin des temps.
Vous êtes envahi par le blanc de la page et les mots viennent parfois vous secourir du vertige, ils sont les traces, les signes, qui vous relient au ciel, à la terre et l'encre vous retient de sombrer dans la défaite toujours imminente.
Ecrire c'est un grand vent qui secoue les branches de l'âme emportant les feuilles les plus faibles celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots les plus brûlés de votre langue.
Ecrire c'est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d'une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d'un vide terrifiant et miraculeux.
Consentir à ce ciel désolé, simplement consentir.
Traverser le rêve d'écriture c'est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant comme une lame aiguisée, ardent comme le feu d'une forge, un amour ravagé de silence et de vent.
Le jour où l'on écrit c'est qu'on s'est mis en marche vers un amour, et qu'on en appelle la brûlure et l'âme souveraine, et c'est une marche aveugle main tendue vers un noir toujours plus profond.
On écrit avec ses silences, c'est eux qui laissent leurs empruntes d'ombres sur la blancheur des pages. Un silence se couche sur un autre silence et ainsi de suite, silence sur silence, dans un grand lit d'absence pour consommer les noces enflammées de l'espérance et de l'épuisement. Silence sur silence, lumière sur lumière, et ça, éternellement...
Ecrire c'est cette façon d'être au monde, ou de ne plus y être, c'est interroger le murmure et en glaner une once de lumière, c'est user le temps, le polir longuement pour en obtenir quelque élixir subtil, c'est entretenir un feu avec de minces brindilles d'encre usée, c'est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude et dans la solitude les rumeurs de la foule, c'est ouvrir des portes interdites avec la seule clé des mots, et c'est se croire riche et se vouloir pauvre, et être désarmé et pourtant invincible, et c'est mourir plusieurs fois par jour et renaître pour que demain advienne, et c'est dormir dans l'attente et se réveiller dans la prière.
Rien, rien de plus. Née d'un manque l'écriture entretien souvent avec la douleur une relation incestueuse, elle souffle sur nos entrailles pour en attiser les brûlures dans des noces solitaires et sauvages.
C'est tout ça et mille autres choses, c'est la parole la plus épuisée qui puisse être dite car elle gît mourante au fond de notre vie on en cueille parfois les effluves tremblantes dans la paume de quelques mots.
Se mettre à écrire c'est distiller du temps en chauffant nos jours au rouge du cœur.
Et la brume qui s'évapore c'est nos renoncements, nos peurs qui se délient.
Et ce qui reste est si infime qu'on pourrait le perdre d'un simple soupir, si infime et pourtant si abondant qu'on pourrait en vêtir un ciel entier.
 
 Franck Nicolas
 


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