Un jour - et
ce jour vient du plus loin de vos années d'orages, de pluies, d'errance - un
jour vous vous mettez à écrire, à écrire vraiment. Et brusquement vous êtes
dans la fraîcheur d'une aube et cela vous suffit . Chaque mot surgit d'une
rosée généreuse. Vous, vous n'avez qu'à l'accueillir dans le silence,
reconnaissant d'être encore en vie et de pouvoir sentir le flot du sang envahir
toute la langue.
Ce jour-là,
vous vous retrouvez loin de tout et pourtant vous n'avez jamais été si vivant.
Vous êtes dans une désolation lumineuse et cela vous suffit. Vous êtes perdu et
c'est justement cette perte qui vous ressuscite. Vous êtes perdu et tout vous
paraît plus clair, plus net, plus définitif, plus impératif.
Renaître après des siècles d'agonie.
Renaître après des siècles d'agonie.
On n'écrit
jamais pour plaire ou séduire, on écrit pour se retrouver. Chaque mot vous
rapproche d'un lieu inconnu plein de mystère, un lieu inévitable.
Car écrire
prolonge un rêve commencé il y a longtemps, dans l'enfance, un rêve commencé
lorsque vous étiez blottis dans le plus fragile abandon du regard de la mère,
qui vous avez sacré - vous si infirme - roi si rayonnant.
Oui, écrire
c'est d'abord retrouver ce sommeil plein de couleurs et de chaleur où l'amour
n'est pas promis mais donné comme une éternité, offert comme la première
nourriture et la seule dont vous n’aurez jamais besoin.
Ecrire vous
fait retrouver ce rêve où vous n'êtes là pour personne sauf pour le murmure
incompréhensible et attendri d'une mère devenue folle parce qu'elle s'est enfin
oubliée et qu'elle divague dans les méandres de votre visage.
Un jour vous
écrivez, et c'est ce seul murmure qui compte parce que lui seul peut couvrir le
vacarme du monde. Vous ne saurez jamais si cela peut faire un livre, vous êtes
dans le pur bercement de la langue, dans l'oublie de votre propre présence,
dans cette musique qu'il faut prolonger jusqu'à la fin des temps.
Vous êtes
envahi par le blanc de la page et les mots viennent parfois vous secourir du
vertige, ils sont les traces, les signes, qui vous relient au ciel, à la terre
et l'encre vous retient de sombrer dans la défaite toujours imminente.
Ecrire c'est
un grand vent qui secoue les branches de l'âme emportant les feuilles les plus
faibles celles qui ne tiennent que par le doute, et qui deviendront les mots
les plus brûlés de votre langue.
Ecrire c'est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d'une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d'un vide terrifiant et miraculeux.
Ecrire c'est être dans cet arrachement, dans cet envol au milieu d'une tempête, dans cette chute soudaine au cœur d'un vide terrifiant et miraculeux.
Consentir à
ce ciel désolé, simplement consentir.
Traverser le
rêve d'écriture c'est traverser un amour rouge comme le sang, tranchant comme
une lame aiguisée, ardent comme le feu d'une forge, un amour ravagé de silence
et de vent.
Le jour où
l'on écrit c'est qu'on s'est mis en marche vers un amour, et qu'on en appelle
la brûlure et l'âme souveraine, et c'est une marche aveugle main tendue vers un
noir toujours plus profond.
On écrit
avec ses silences, c'est eux qui laissent leurs empruntes d'ombres sur la
blancheur des pages. Un silence se couche sur un autre silence et ainsi de suite,
silence sur silence, dans un grand lit d'absence pour consommer les noces
enflammées de l'espérance et de l'épuisement. Silence sur silence, lumière sur
lumière, et ça, éternellement...
Ecrire c'est
cette façon d'être au monde, ou de ne plus y être, c'est interroger le murmure
et en glaner une once de lumière, c'est user le temps, le polir longuement pour
en obtenir quelque élixir subtil, c'est entretenir un feu avec de minces
brindilles d'encre usée, c'est écouter dans la foule le bruit que fait la solitude
et dans la solitude les rumeurs de la foule, c'est ouvrir des portes interdites
avec la seule clé des mots, et c'est se croire riche et se vouloir pauvre, et
être désarmé et pourtant invincible, et c'est mourir plusieurs fois par jour et
renaître pour que demain advienne, et c'est dormir dans l'attente et se
réveiller dans la prière.
Rien, rien
de plus. Née d'un manque l'écriture entretien souvent avec la douleur une
relation incestueuse, elle souffle sur nos entrailles pour en attiser les
brûlures dans des noces solitaires et sauvages.
C'est tout
ça et mille autres choses, c'est la parole la plus épuisée qui puisse être dite
car elle gît mourante au fond de notre vie on en cueille parfois les effluves
tremblantes dans la paume de quelques mots.
Se mettre à
écrire c'est distiller du temps en chauffant nos jours au rouge du cœur.
Et la brume qui s'évapore c'est nos renoncements, nos peurs qui se délient.
Et ce qui reste est si infime qu'on pourrait le perdre d'un simple soupir, si infime et pourtant si abondant qu'on pourrait en vêtir un ciel entier.
Et la brume qui s'évapore c'est nos renoncements, nos peurs qui se délient.
Et ce qui reste est si infime qu'on pourrait le perdre d'un simple soupir, si infime et pourtant si abondant qu'on pourrait en vêtir un ciel entier.
Franck Nicolas
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