samedi 19 mai 2012

Un tout simple hasard

« Cette personne que nous aimons sans la connaître, et qui ne nous est si présente que parce que nous la recréons sans cesse en l'imaginant, un tout simple hasard en fait l'objet de nos rêveries. Nous l'avons fortuitement inventée plutôt que nous ne l'avons choisie. Mais son image nous est désormais si intime, si obsédante, que nous ne pouvons plus nous en détacher. Parce qu'il nous semble que nous ne pourrions pas vivre sans elle, il nous semble aussi que nous aurions manqué notre vie si nous ne l'avions rencontrée...»


Extrait de Métamorphoses de l'amour de Nicolas Grimaldi, Grasset, p.9



vendredi 18 mai 2012

Nuit blanche

« Blanches de leur nuit passée à se serrer, vos mains jointes se garottent de silence.
Blanches d'être à jeun, vos lèvres vous emmurent.
Sans vis-à-vis possible, vous offrez à votre amour une vue imprenable sur la nuit blanche du couloir qui mène à la chute de votre histoire courte.»
 Extrait de Récitatif - Guy Brémond



jeudi 17 mai 2012

Une tache de lumière

Mercredi, après le déjeuner.



« Le soleil veut obstinément te sourire sur cette page: j'ai beau pousser ma table, changer le jeu des volets, une tache de lumière me poursuit, qui se mêle à ces mots; en elle vient se condenser la fièvre heureuse du vent. L'été veut durer longtemps encore; les feux d'herbes sur le bord du chemin que je suivis ce matin n'avaient pas goût d'automne; l'air humide eût dilué leurs fumées, mais opaques, presque irrespirables, elles pesaient dans le beau temps.»

Extrait de Lettres à l'Amant


mercredi 16 mai 2012

Le désert interieur



MARIE-MADELEINE DAVY (1903-1998)
Historienne et philosophe française, Marie-Madeleine Davy est connue pour ses études médiévales. C'est une femme toute de courage et d'intériorité qui disait:
    
"J'ai cherché l'Absolu. Je ne le cherche plus"
« A l’égard de mon itinéraire, je me pose la question : quel fut mon initiateur, mon véritable maître spirituel ? / Je réponds sans la moindre hésitation : la solitude. / Elle est un abîme! Une profondeur! Une béance! / Dès ma jeunesse, j’ai perçu son appel.»
« La recherche me paraît se situer dans la dimension horizontale. Un point d'eau découvert exige un creusement pour trouver la source. On passe ainsi de l'horizontalité à la verticalité. Durant la dernière démarche, on se livre au questionnement, aux rencontres, aux échanges. Ensuite, la solitude et le silence deviennent des intermédiaires. Le reste est superflu.»
« Quelle est donc le lieu d'élection dans lequel amour et connaissance se jumellent, où le détachement fleurit en expérience, faisant franchir la Porte d'or donnant accès au "Verger des Mystères"?
Il porte un nom : il s'appelle désert.
Désert! terme fascinant pour ceux qui possèdent le goût de l'alliance, de la montagne des révélations, de la parole reçue dans le cœur, des éternelles fiançailles dont l'amour est avide.»
« L'éveil  libérateur s' accomplit dans le désert, c'est-à-dire dans le pays de la soif, de la lecture des signes et de la rencontre. La véritable rencontre s'effectue au dedans, et devient expérience. Une indicible expérience dont l'essentiel est inconnaissable.»

samedi 5 mai 2012

Fille-fruit

« Mon coeur monte à mon ventre comme un
soleil levant.
Sous tes mains de sourcier, venue de mes
ténèbres, j'éclos.
  Non pas fille-fleur dans sa parure vaine de corolles, mais fille-fruit se savourant. Femme! dans son parfum de femme et la succulence de sa chair éclatée promise à la consommation.
[...] Femme dans la richesse de ses seins sapides où fleurit le sel. »

(extrait de L'Amant)


                                           
                                                                     Aquarelle de Guy Brémond

vendredi 4 mai 2012

Mozart, Infiniment...

« J'ai eu soif tout à l'heure de quelque chose de très beau; j'ai écouté Mozart, Infiniment... »

(Extrait de Lettres à l'Amant - tome I)


Mozart, Concerto pour clarinette, KV622, en la majeur


mardi 1 mai 2012

De l'attente: exaspération et ambivalences


« Etre sexué c’est porter en soi l’attente d’un autre. En nous faisant éprouver jusqu’à la douleur notre substantielle incomplétude, la sexualité nous fait sentir que nous avons notre identité dans l’altérité. Sentir qu’on a son centre hors de soi : en même temps que cela suffirait à définir l’attente, cela pourrait aussi définir la disposition amoureuse.
En décrivant cette disposition comme un besoin ou comme une quête, que fait d’ailleurs Benjamin Constant sinon l’identifier à l’exaspération d’une attente ? De même que l’attente précède tout objet qu’on puisse dire attendu, de même, note-t-il, « le sentiment de l’amour n’a rien de commun avec l’objet qu’on aime. C’est un besoin du cœur qui revient périodiquement, à des époques plus éloignées que les besoins des sens, mais de la même manière ; et comme l’attrait des sexes fait qu’on cherche une femme dont on puisse jouir, n’importe laquelle, le besoin du cœur cherche à se placer sur un objet qui l’attire ou par de la douceur, ou par de la beauté, ou par telle autre qualité qui devient le prétexte que le cœur allègue à l’imagination pour justifier son choix. » (1) Peut-être la seule inadvertance de cette observation est-elle donc d’attribuer à un choix ce que nous n’avions pas eu à choisir pour l’attendre, fût-ce même à notre insu.
C’est ce que décrivent plusieurs personnages de Simenon. Quand on sent jusqu’au vertige ou jusqu’à l’écœurement la vacuité de la vie, on attend ce qui la remplirait. Le vide, psychologiquement, c’est l’attente du plein. Aussi suffit-il d’éprouver ce vide pour se sentir attendre. « Est-ce cela la vie ? se révolte l’un d’eux. Un peu d’enfance inconsciente, une brève adolescence, puis le vide... » Se demandant comment elle avait pu s’amouracher de l’homme le plus inconsistant et le plus veule, une deuxième l’attribue, elle aussi, à cette sensation de vide : « C’était un vide, voilà, elle cherchait le mot depuis longtemps. Il n’y en avait pas d’autre : un vide ! Et, dans le vide, l’équilibre n’existe plus, on flotte sans se poser. » Pour s’en sauver, on peut être en effet tenté de s’agripper à n’importe quoi, de s’accrocher à n’importe qui. [...] Ainsi Maigret attribue-t-il à cette expérience si commune du vide, de la solitude, ou du délaissement, l’attitude quasiment réflexe par laquelle on tente d’arrimer notre existence à une autre. « Chacun se raccroche à quelque chose. » (2) […]
Autant l’attente originaire nous empêche de jamais coïncider avec nous-mêmes, autant c’est elle qui nous empêche d’atteindre jamais ce qu’on désirait. En nous faisant éprouver le présent comme le manque de quelque chose à venir, elle nous en dissocie et ne nous en fait sentir que le vide. C’est elle qui, en nous retranchant de tout ce que nous vivons, nous y rend étrangers. […]
Comme s’il s’agissait des deux faces d’une même étoffe, attente et solitude sont toutefois indissociables. Ne suffit-il pas en effet d’attendre pour se sentir secrètement séparé de tout ce qui nous entoure ? Et  réciproquement, ne suffit-il pas d’être seul pour attendre ce qui pourrait mettre fin à notre solitude, ne serait-ce qu’en la partageant ? A notre originaire attente correspond donc un tout aussi originaire sentiment de solitude, et le désir de la rompre. Sans doute est-ce là le principe de l’amour.
A l’ambivalence de l’attente doit donc correspondre une toute semblable ambivalence du sentiment amoureux. Car l’attente suscite deux sentiments aussi solidaires que contradictoires. D’une part, le présent l’impatiente. Toute tendue vers l’avenir, elle n’aspire qu’à s’y élancer. C’est ce qui fait son inquiétude. D’autre part, elle s’irrite d’elle-même, et n’aspire qu’à se supprimer. Aussi attend-elle toujours ce qui ne laisserait plus rien à attendre. C’est ce qui lui fait désirer à la fois de s’en séparer et de s’attacher, de quitter le présent et de rencontrer ce qu’on ne voudrait plus quitter. En même temps qu’elle suscite donc un désir d’aventure, elle n’aspire à rien tant qu’à une sorte de stabilité et d’immutabilité.»

1. Cf.B.Constant, Journaux intimes, 26 janvier 1803, p.233.
2. Cf.G.Simenon, Maigret a peur, VI, 600.

Extrait de Nicolas Grimaldi, Métamorphoses de l’amour, Grasset, 2011, p.88-94 (chapitre « L’attente et ses ambivalences »)

Mireille et la peinture...

Toulouse
[21 novembre 1961]





« J'aime  de ces nymphes de Botticelli qu'elles aient cette grâce heureuse en même temps que cette facture classique si pure;


 plus encore que le bouquet de Chagall me plaît celui de Braque où les petits soleils orange émergeant de la brume sont comme autant de sourires.»




                      Chagall

           






                                                         Braque

                                                      

                                                             





« Le portrait de la jeune égyptienne m'a surprise. Ce regard si présent... Je ne sais si l'on peut la regarder longtemps sans inquiétude. Dans ma chambre trop petite, elle semble trop vivante. Ne vous a-t-elle pas troublé? -- Et puis toutes ces "images" qui ont glissé sur mes genoux lorsque j'ai eu déchiré l'emballage... Mes amies sont venues et je leur ai montré mes richesses... Nous en oubliions et l'heure qui passait et le travail imposé! Je vous remercie de tout mon coeur.»

(Extrait de Lettres à l'Amant - tome I)