dimanche 23 août 2015

17 Août - Patrick Tafani




 17 AOÛT

    Les rues étaient désertes malgré la rumeur d’un ciel absurde inconcevablement bleu. Le cœur de la ville chancelait sous mes pas, la magie se séparait de quelque ombre happée de soleil, les chiens couraient la lande, leur souvenir se perdait auprès de tes yeux, la chimère n’osait pas revenir au visage et je me savais oublié de toi, mais j’osais encore, ma mémoire s’ouvrait, s’ouvrait, Rue des Paradoux, portes et fenêtres, indiciblement obscures, qu’importait le présent, je voulais te revoir dans ta robe de soie rouge, retenir le sang qui coulait de ta nuque. T’attendrai-je sur le quai ?

                                                         Texte de Patrick TAFANI 

                         


mercredi 12 août 2015

Lasse d'être sage...


Vendredi [8 mai 1964]
 

[...] La pluie longuement lustre notre étoile... Matinée grise, bâtarde, au sang vicié; on respire mal. Vers les dix heures, la révolte. Car je suis lasse d'être sage, car ma sagesse à la fin m'écœure, car je ne suis rien d'autre qu'une bonne écolière, car je refuse mes limites, ma médiocrité! Il est temps qu'enfin cet examen se passe. Je me promets ensuite d'être folle, abso­lument... Mais je reçois ta lettre, et s'apaise cette colère déses­pérée, cette rage contre soi soudain à se voir si rien du tout; s'apaise le mépris pour soi, puisqu'au moins pour cet Autre, on est digne du monde. Amour mien, il ne faut pas m'admirer, ou bien il faut me dire que tu m'admirerais encore si je devenais soudain paresseuse, désordonnée, désinvolte, égoïste, triste... Bien sûr que je suis ton égale. Tous les vivants sont égaux, et les non-vivants nuls, tous ceux qui aiment sont vivants, tous ceux qui aiment sont égaux. 

Mireille Sorgue - Extrait Lettres à l'Amant - Tome II 
 


vendredi 7 août 2015

Montaigne - Savoir être à soi





 Lundi  [11 Novembre 1963]

[...] Marie-France est entrée, s'est assise près de son lit pour travailler... Hier, elle m'a demandé aide pour un devoir de philosophie dont le sujet m'a tant plu que j'y ai pensé plusieurs heures (« Le mot de Montaigne -* La plus grande chose du monde est de savoir être à soi * est peut-être le mot d'un monde en train de disparaître.») « Être à soi », le pouvons­-nous encore? Il y faut une conscience claire, désenchantée de la condition humaine, mortelle -mais il faut se garder d'ap­partenir déjà à la mort. Être à soi dans l'amour, l'amour lucide; se faire du présent une éternité... Si j'avais dû rédiger ce devoir, c'est par la connaissance, la révélation de soi-même dans l'amour, la possession de soi-même, soi-même total, hors de la peur, de l'ennui, du désespoir, également distant de la révolte et de la résignation, que j'aurais terminé. Face à l'oppression du monde moderne, face au déferlement des foules, la paradoxale liberté de l'être engagé dans un au-delà de la passion, dans l'effort de l'amour, l'érection de l'amour... 

Mireille Sorgue - Extrait de Lettres à l'Amant - Tome II