lundi 5 septembre 2016

L'amour est poignant - Mireille Sorgue







« L'AMOUR EST POIGNANT  ce matin.
 Le sourire doucement me déchire de tes lèvres à fleur de mes larmes,
Pluie d’été opulente meurtrissant dans l’âme de secrets liserons,
Soleil buvant l’argile qui se fend, se brise et coule en poussière.
Défaite, je glisse au fil d’une fièvre latente… »

                         Mireille Sorgue - Lettres à l’Amant - Tome I





 

mardi 12 juillet 2016

Ce mal qui est le mien - Mireille Sorgue



Dimanche - Nuit
[24 février 1963]



Je me levai hier matin lasse déjà, sans cause apparente, je ne sais quelle rage au cœur qui me fit, abrégeant les préparatifs, quitter la maison aussitôt, et partir à pied, malgré le froid, à l'E.N. Des deux heures de cours que j'y suivis, j'avoue que je n'écoutai rien, si visiblement absente, et de soudaines larmes aux yeux, que je dus me contraindre à écrire; mais faible, dérisoire entrave -et cette pensée que je ne formulai jamais encore, mais latente sans doute jusqu'à ce jour, jaillissante sou­dain, impérieuse: Je partirai. -J'ai soif d'un grand pays salubre, dur, d'une terre infinie, austère, rare en hommes. D'une tâche humble, quotidienne, usure douce. Et n'ai besoin de rien d'autre pour douer d'authenticité mon passage, car à cela suffit le poids terrible de ma vie. Ne songeant pas même à créer: que pourrais-­je sauver qui ne périsse avec les hommes? Et que pourrais-je léguer à d'autres, moi qui ne sais rien retenir, et qui éprouve si fort (que l'échéance inéluctable déjà me paralyse) le sursis dont je jouis, et sa limite? -Pourquoi le rocher se remit-il encore à dévaler la pente? Peut-être parce que j'ai soudain désespéré de l'amour. -Je sens bien quelle peine je te fais, mais il me faut poursuivre. -Je te crois lorsque tu m'assures que je connaîtrai l'amour; je te crois, mais ce que je vois plus clairement chaque jour, c'est que cet amour-là ne peut-être qu'« à douleur». Je ne parle pas seulement de moi qui en pleurerai, mais de celui à qui je ferai cette triste, terrible offrande; de celui que je tour­menterai par trop d'amour. Et tu me cries d'être démesurée! Que cette fièvre me consume, c'est bien, je vis et ne veux pas d'autre sort, mais comment pourrais-je me résoudre à lier celui qui m'aimera à ce mal qui est mien?
Mireille Sorgue - Lettres à l'Amant - Tome I


dimanche 5 juin 2016

Songe : Un visage neuf ... en forme de soleil



Jeudi soir
[20 décembre 1962]

J'oubliais de te dessiner un de mes songes: la main levée un peu plus haut que mon visage, je trace d'une ombre légère sur le mur que soleille ma lampe une figure idéale où s'englue l'espoir d'un lendemain très clair. Un visage neuf pour redessiner un jour le mien en forme de soleil...Rêve que je fais toute éveillée bien sûr.

Mireille Sorgue - Lettres à l'Amant - Tome I




Sylvia Plath - Le bord




« C’est comme si ma vie était magiquement parcourue par deux courants électriques, l’un positif et joyeux, l’autre profondément négatif et désespéré. Cela envahit ma vie, l’inonde. Maintenant je suis submergée par le désespoir, voire l’hystérie comme si je me noyais. Comme si un hibou gigantesque était posé sur ma poitrine, ses griffes broyant et enserrant mon cœur » écrit Sylvia Plath.

Elle ne fuit pas le réel, elle le recrée. Ecureuil fou, elle ne pouvait que tourner et retourner dans la cage de son histoire. Ce n'est pas le désespoir qui monte de ses poèmes, mais des éclats de vie, des échardes de vie. Sylvia Plath a cherché un passage secret, elle est allée au bord, ce bord fut un précipice. Il semblait n'y avoir que deux moyens pour s'échapper, la poésie ou la mort.
Le bord,  ultime poème est ce bord où elle s'est trop penchée.

        "Mourir est un art, comme toute chose" écrit Sylvia Plath.

Extrait  - Gil Pressnitzer 



Le bord

La femme s'est accomplie
son corps mort

porte le sourire de l'accomplissement
l'illusion d'une obligation grecque
coule dans les rouleaux de sa toge

Ses nus
pieds semblent vouloir dire :
Nous sommes arrivés si loin, tout est fini.

Chaque enfant mort est enroulé, un serpent blanc,
Près de chacun une cruche de lait
maintenant vide.

Elle les a repliés contre son corps
comme les pétales
d'une rose refermée quand le jardin
se fige et que les parfums saignent
des douces, profondes, gorges de la fleur de la nuit.
 
La lune n'a pas à s'en désoler,
fixant le tout de sa cagoule d'os.
Elle a tant l'habitude de cela.
Sa noirceur crépite et se traîne.

 Sylvia Plath, Le bord, dernier poème, 5 février 1963

mercredi 1 juin 2016

Les plus beaux poèmes de la langue française - Alfred de Vigny : La Mort du loup


Samedi
[16 mars 1963]

[...] J'eus encore un disque que tu as pu apprécier: Les Plus Beaux Poèmes de la langue française - dits par Gérard Philipe et Maria Casarès.
Mireille Sorgue - Lettre à l'Amant- Tome I








samedi 26 mars 2016

Jeu de lianes... Jeu de miroirs - Mireille Sorgue



Samedi [19 octobre 1963]

[...] Je me penche grave sur l'eau de ton image qu'effleure ma bouche, tu me souris au fond, tu me captives -charme ta voix et charme ton silence, réciproque sortilège nos paroles. N'est-ce pas que nous nous envoûtons l'un l'autre sans répit, jeu de lianes qui se tressent, se lient, se nouent? Il suffit que je contemple ta lettre de ce matin pour éprouver sa valeur incantatoire. Lettre serrée, opaque au regard, dense et lourde comme un galet noir, uni -tout autre que moi ne la saurait lire, ne saurait se moduler selon sa courbe, s'ordonner selon son architecture, respirer finement par ses pores étroits une lumière aiguë, nul autre que moi ne saurait décomposer sa saveur de pierre, y reconnaître le sel, l'immortelle, la terre d'automne, le parfum des pommes, nul autre n'en peut déchiffrer les imperceptibles facettes -si proches et multiples qu'elles composent une apparence lisse -dont chacune m'ouvre une fenêtre sur l'espace profond, sur le temps intact que nos regards magiques retiennent et captent. Moi seule sais ce dont tu parles, moi seule c'est-à-dire Toi, car je suis un autre toi-même, ton double lisible où tu t'apprends, où tu te reconnais. Quel étrange jeu de miroirs composent nos lettres, un dédale de reflets, d'échos, d'illusions plus vraies que nature, et comme il fait bon nous y perdre ensemble, comme il fait  bon ne plus très bien savoir où commence l'autre, où l'on finit soi-même, et se mouvoir dans une perspective ainsi prolongée, se mouvoir dans l'épaisseur du temps, dans la pulpe du jour, comme j'aime habiter nos âmes confondues!...
Extrait de "Lettres à L'Amant" - Tome II