dimanche 20 décembre 2015

Jean Giono - L'homme qui plantait des arbres



Pour que le caractère d'un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l'idée qui la dirige est d'une générosité sans exemple, s'il est absolument certain qu'elle n'a cherché de récompense nulle part et qu'au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d'erreurs, devant un caractère inoubliable. 

Jean Giono - L'homme qui plantait des arbres




dimanche 29 novembre 2015

Paul Valéry - Les pas



Les pas
 
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.

Personne pure, ombre divine,
Qu'ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !... tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !

 
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l'apaiser,
A l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser, 

 
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n'était que vos pas. 


                                                  Paul Valéry - Extrait de poésies- Charmes 


mardi 3 novembre 2015

André de Richaud - La douleur



"Nous sentons qu'au fond de nous-mêmes, notre mort s'apprête, parce que nous ne pouvons faire la preuve essentielle de notre vie."

                                                                                  Extrait de La Douleur  - André de Richaud 


 

dimanche 25 octobre 2015

Maria Rainer Rilke – Pour écrire un seul vers…



Maria Rainer Rilke – Pour écrire un seul vers…

Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles, – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver  qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.

mercredi 7 octobre 2015

Demain le perpétuel dimanche


Jeudi [23 avril 1964]

[...] ...Je vais te voir|- Se peut-il? 

             Oui, et je sais déjà que tout fut limpide et neuf, les sources drues et tes lèvres, feuille vivante, que je déchirerai doucement, selon sa nervure, pour chanter au travers, pour boire le jour au-delà... Le plus bel arbre c'est ta main, et l'arbre jumeau de mon sang qu'elle rassemble en gerbe, et le plus beau navire c'est toi comme une étrave qui m'ouvre avec vaillance, et le plus beau voyage c'est ton sillage de velours et mon vertige, la plus belle terre du monde celle où nous échouons ensemble, où je te reconnais vivant, où tu me reconnais, où nous nous découvrons, où nous venons de naître.
             * Demain c'est dimanche. Demain le perpétuel dimanche * bonjour. 
                                                      Mireille Sorgue - Lettres à l'Amant- tome II



dimanche 23 août 2015

17 Août - Patrick Tafani




 17 AOÛT

    Les rues étaient désertes malgré la rumeur d’un ciel absurde inconcevablement bleu. Le cœur de la ville chancelait sous mes pas, la magie se séparait de quelque ombre happée de soleil, les chiens couraient la lande, leur souvenir se perdait auprès de tes yeux, la chimère n’osait pas revenir au visage et je me savais oublié de toi, mais j’osais encore, ma mémoire s’ouvrait, s’ouvrait, Rue des Paradoux, portes et fenêtres, indiciblement obscures, qu’importait le présent, je voulais te revoir dans ta robe de soie rouge, retenir le sang qui coulait de ta nuque. T’attendrai-je sur le quai ?

                                                         Texte de Patrick TAFANI 

                         


mercredi 12 août 2015

Lasse d'être sage...


Vendredi [8 mai 1964]
 

[...] La pluie longuement lustre notre étoile... Matinée grise, bâtarde, au sang vicié; on respire mal. Vers les dix heures, la révolte. Car je suis lasse d'être sage, car ma sagesse à la fin m'écœure, car je ne suis rien d'autre qu'une bonne écolière, car je refuse mes limites, ma médiocrité! Il est temps qu'enfin cet examen se passe. Je me promets ensuite d'être folle, abso­lument... Mais je reçois ta lettre, et s'apaise cette colère déses­pérée, cette rage contre soi soudain à se voir si rien du tout; s'apaise le mépris pour soi, puisqu'au moins pour cet Autre, on est digne du monde. Amour mien, il ne faut pas m'admirer, ou bien il faut me dire que tu m'admirerais encore si je devenais soudain paresseuse, désordonnée, désinvolte, égoïste, triste... Bien sûr que je suis ton égale. Tous les vivants sont égaux, et les non-vivants nuls, tous ceux qui aiment sont vivants, tous ceux qui aiment sont égaux. 

Mireille Sorgue - Extrait Lettres à l'Amant - Tome II 
 


vendredi 7 août 2015

Montaigne - Savoir être à soi





 Lundi  [11 Novembre 1963]

[...] Marie-France est entrée, s'est assise près de son lit pour travailler... Hier, elle m'a demandé aide pour un devoir de philosophie dont le sujet m'a tant plu que j'y ai pensé plusieurs heures (« Le mot de Montaigne -* La plus grande chose du monde est de savoir être à soi * est peut-être le mot d'un monde en train de disparaître.») « Être à soi », le pouvons­-nous encore? Il y faut une conscience claire, désenchantée de la condition humaine, mortelle -mais il faut se garder d'ap­partenir déjà à la mort. Être à soi dans l'amour, l'amour lucide; se faire du présent une éternité... Si j'avais dû rédiger ce devoir, c'est par la connaissance, la révélation de soi-même dans l'amour, la possession de soi-même, soi-même total, hors de la peur, de l'ennui, du désespoir, également distant de la révolte et de la résignation, que j'aurais terminé. Face à l'oppression du monde moderne, face au déferlement des foules, la paradoxale liberté de l'être engagé dans un au-delà de la passion, dans l'effort de l'amour, l'érection de l'amour... 

Mireille Sorgue - Extrait de Lettres à l'Amant - Tome II