mardi 21 mai 2013

Cathrine Pozzi - Poème



Catherine Pozzi


Ave

Très haut amour, s'il se peut que je meure
Sans avoir su d'où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,
Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j'ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour.
Quand je serai pour moi—même perdue
Et divisée à l'abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,
Par l'univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu'au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor
Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Cœur de l'esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.

Catherine POZZI

lundi 20 mai 2013

Héloïse et Abélard





Lettre d'Héloïse à Abélard
 
(Héloïse dans sa cellule répond à une lettre d'Abélard)
 
Ai-je d'autre vertu que celle de l'amour?
Viens, n'écoute que moi, moi seule je t'appelle
Abélard, sois sensible à ma douleur mortelle.
Toi, dans qui je trouvais, père, époux, frère, ami,
toi de tous les amants, l'amant le plus chéri
Ne vois-tu plus en moi ton épouse charmante,
ta fille, ton amie et surtout ton amante?
Viens, ces arbres touffus, ces pins audacieux,
dont la cime s'élève et se perd dans les cieux,
Ces ruisseaux argentés, fuyant dans la prairie,
l'abeille, sur les fleurs, cherchant son ambroisie,
le zéphir qui se joue au fond de nos bosquets,
ces cavernes, ces lacs, et ces sombres forêts,
ce spectacle riant, offert par la nature,
n'adoucit plus l'horreur du tourment
que j'endure
L' ennui, le sombre ennui, triste enfant du dégoût,
dans ces lieux enchantés se traîne, et corrompt tout.
Il séche la verdure, et la fleur pâlissante
se courbe et se flétrit sur sa tige mourante.
Zéphir n' a plus de souffle, écho n' a plus de voix,
et l' oiseau ne sait plus que gémir dans nos bois.
Hélas ! Tels sont les lieux où, captive, enchaînée,
je traîne dans les pleurs ma vie infortunée,
cependant Abélard, dans cet affreux séjour,
mon cœur s' énivre encore des poisons de l' amour.
Je n' y dois mes vertus qu' à ta funeste absence,
et j' y maudis cent fois ma pénible innocence.
Moi, dompter mon amour quand j' aime avec fureur !
Ah ! Ce cruel effort est-il fait pour mon cœur ?
Avant que le repos puisse entrer dans mon âme,
avant que ma raison puisse étouffer ma flamme,
combien faut-il encore aimer, se repentir,
désirer, espérer, désespérer, sentir,
embrasser, repousser, m' arracher à moi-même,
faire tout, excepté d' oublier ce que j' aime.
ô funeste ascendant ! ô joug impérieux !
Quels sont donc mes devoirs, et qui suis-je en ces lieux ?


mercredi 15 mai 2013

Paul Eluard - Ta bouche aux lèvres d'or

 
 
 

Ta bouche aux lèvres d'or

Ta bouche aux lèvres d'or n'est pas en moi pour rire
Et tes mots d'auréole ont un sens si parfait
Que dans mes nuits d'années, de jeunesse et de mort
J'entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde

Dans cette aube de soie où végète le froid
La luxure en péril regrette le sommeil,
Dans les mains du soleil tous les corps qui s'éveillent
Grelottent à l'idée de retrouver leur cœur

Souvenirs de bois vert, brouillard où je m'enfonce
J'ai refermé les yeux sur moi, je suis à toi,
Toute ma vie t'écoute et je ne peux détruire
Les terribles loisirs que ton amour me crée.

Paul Eluard - Capitale de la douleur. – 1926 –

samedi 4 mai 2013

Friedrich Nietzsche - Désert et génie







" De quel désert est entouré le génie! "
 
Friedrich Nietzsche