vendredi 21 septembre 2012

Béatrice de Nazareth - Sept manières d'aimer



Béatrice de Nazareth (1200-1268), moniale cistercienne flamande, proche du mouvement des béguines a laissé divers écrits mystiques rédigés en flamand dont un traité sur Sept manières d'aimer. Sa vie relate une expérience mystique étonnante.  C'est dans son cœur que Béatrice établit son monastère spirituel, qu'elle aménage sa cellule et son jardin, qu'elle s'ouvre à l'amour.
Béatrice de Nazareth est entrée dans une expérience unique, elle a cherché à la nourrir et à en vivre à chaque étape de sa vie humaine et monastique, dans ses combats intérieurs et ses tentations, dans son attente patiente de la transformation, dans la joie et l'amour de la rencontre. Elle a réussi à parcourir - et ce faisant à tracer pour d'autres - une voie de sagesse dans son amour ardent de l'Absolu.



"Blessed Beatrice" tableau de Gwyneth Holston
Rendre amour à l’Amour, sans nul pourquoi.
Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné.
Comme une morte-vivante, dans cet enfer, ici.
 
Béatrice de Nazareth
 
 
Sept manières d’aimer
(Texte résumé)
 
La première manière est un désir actif de l'amour, qui doit régner dans le cœur longtemps avant de vaincre tout obstacle, œuvrer avec force et vigilance et croître vaillamment tant que dure cet état.
Ce désir vient évidemment de l'amour même : l'âme bonne, qui veut servir fidèlement, suivre sans crainte et aimer en toute vérité, est mue par ce désir de vivre  dans la pureté, dans la noblesse et la liberté de celui qu’elle sert, être à son image et à sa ressemblance, —ressemblance qu'il lui faut aimer et garder par-dessus tout.
C'est dans cette voie qu'elle veut monter vers un amour plus haut, vers une connaissance plus intime, jusqu’à la perfection.
C'est à cela  qu'elle se livre tout entière. C'est toute sa question, toute sa pensée : comment arriver à gagner l'intimité de l'Amour et à lui ressembler en toute parure de vertus, en tout ce qui lui sied ?
Cette âme examine souvent ce qu'elle est et ce qu'elle doit être, ce qu'elle a et ce qui lui manque. Son cœur ne se repose point, sa volonté ne se lasse pas de chercher, d'apprendre, de la faire avancer en amour.
Une autre manière d'amour est en ceci parfois, que l'âme veut aimer de façon toute gratuite. Elle veut servir  pour rien : aimer simplement, sans pourquoi, sans récompense de grâce ou de gloire , comme une jeune fille qui vaque au service de son seigneur par pur amour, sans salaire aucun, satisfaite de le servir et qu'il la laisse servir. C'est ainsi qu'elle voudrait fidèlement rendre amour à l'Amour, le servir en aimant sans mesure.
De tout son être, elle ne veut que plaire à l'amour. Faire ou souffrir quelque chose à son service, voilà ce qui lui plaît et lui suffit.
Pour la troisième manière d'aimer, ce désir parfois s'élève en elle violemment. L’âme de bonne volonté y passe par de grandes peines, car elle veut à tout prix contenter l'Amour et le satisfaire en tout honneur, en tout service, en toute obéissance d'amour.
L’âme de bonne volonté y passe par de grandes peines, car elle veut à tout prix contenter l'Amour et le satisfaire en tout honneur, en tout service, en toute obéissance d'amour. Elle est disposée à tous les dévouements, prompte et intrépide dans la peine ou le labeur. Mais, quoi qu'elle fasse, elle demeure insatisfaite.
Telle est bien sa pire douleur, de ne pouvoir rendre justice à l'amour selon ses désirs, de se trouver toujours avec lui en dette insolvable.. Elle veut y suppléer par l'intention parfaite et les puissants désirs. Mais cela même ne la console pas. Elle n'arrive pas à se modérer, à se dominer, à se tranquilliser. Elle rend à l'amour grâces et louanges, elle œuvre et travaille pour lui, elle s'offre tout entière à l'amour et n'agit qu'en lui.
En tout cela donc, point de repos pour elle : elle doit souffrir toujours de ne point saisir ce qu'elle convoite. Elle reste plongée dans le crève-cœur, dans la langueur insatiable : il lui semble qu'elle meurt sans mourir, et que dans cette mort elle souffre l'enfer. Sa vie est infernale en vérité, elle n'est que déception et disgrâce, les désirs anxieux la martyrisent, nul accomplissement, nulle satisfaction, nul apaisement ne se laisse entrevoir.
Dans la quatrième manière d'amour, l'âme goûte tour à tour de grandes délices et de grandes peines. Elle éprouve, une illumination de l'esprit, un merveilleux excès de délices, une étroite nécessité d'obéir à l'amour, sa volonté est amour, elle se trouve plongée et engloutie dans l'amour. La beauté de l'amour l'a rendue belle. Elle est toute à l'amour et ne peut s'occuper que de lui.
Son esprit s'abîme tout entier dans l'amour, son corps défaille, son cœur se liquéfie et ses forces l'abandonnent. Elle est tellement dominée par l'amour. Elle est comme un vase comble dont le contenu se répand au moindre mouvement : la plénitude de son cœur l'accable, et sans qu'elle y prenne garde, pour un rien l'amour déborde.
Dans la cinquième manière, il arrive parfois que l'amour s'élève dans l'âme en tempête elle veut satisfaire l'amour en ses multiples exigences, ou bien elle veut se reposer dans le doux embrassement de l'amour. Elle se trouve si forte en esprit, elle embrasse tant de choses en son cœur que tout en elle, lui semble-t-il, est activité et travail. Tantôt c'est le sentiment de l'amour même qui, sans raison aucune, la fait souffrir, tantôt l'absence de ces biens dont l'amour a soif, et la fruition refusée à son désir. Par instant, l'amour perd à ce point toute mesure en elle, il jaillit avec une telle effraction, agite le cœur si fort et si furieusement, que ce cœur semble de toutes parts blessé, et ses blessures ne cessent de se renouveler, chaque jour plus brûlantes et plus douloureuses. Il lui paraît que son sang l'abandonne, que sa gorge se dessèche ; son visage et tous ses membres ressentent la brûlure intérieure et l'ire souveraine de l'amour. Parfois aussi c'est comme un feu qui attire tout ce qu'il peut consumer : telle est la violence que cette âme éprouve, l'action en elle de l'amour sans mesure et sans pitié, qui exige et dévore toute chose.
La Fiancée est ainsi tourmentée, écrasée, épuisée intérieurement, le lien d'amour la serre de si près, son immensité l'assujettit de telle sorte, qu'elle ne peut garder ni mesure ni raison. Elle est donc entraînée et stimulée plus fort chaque jour, nullement satisfaite ni calmée. Ce qui la dévore et la tourmente le plus.
En la sixième manière la Fiancée éprouve encore une autre forme de l'amour avec connaissance plus intime et plus élevée. Elle sent que l'amour dilate et exalte son être. Elle est maîtresse d'elle-même à présent et ne trouve plus de résistance : tout est facile à faire ou à laisser, à souffrir ou à porter, Elle éprouve alors une dévotion divine.
L’amour la rend alors si hardie qu'elle ne craint ni homme ni démon, ni ange ni saint, ni Dieu même. Elle sait et sent que ni travail ni souffrance n'importe à l'amour lorsqu'il règne dans une âme.
Mais tous ceux qui veulent venir à lui doivent le chercher s'y exercer avec ardeur et ne s'épargner eux-mêmes ni dans l'effort ni dans les douleurs.
L'âme bienheureuse connaît encore une septième sorte d'amour sublime qui opère en elle intérieurement un singulier travail. Elle est attirée dans l'amour au-dessus d'elle-même, au-dessus des sens, de l'humaine raison et de toute opération de son propre cœur
La Fiancée est alors si tendrement abîmée dans l'amour, emportée par une aspiration si forte que son cœur affolé ne peut plus contenir l'élan intérieur, son âme dans l'excès d'amour s'écoule et s'évanouit, son esprit cède tout entier à la fureur des puissants désirs.
Elle ne peut cesser de le vouloir, car l'amour ne lui laisse ni répit ni repos, ni paix d'aucune sorte. L'amour l'exalte et l'abaisse, lui fait goûter mort et vie, la guérit et la blesse derechef, la rend folle et de nouveau sage, et par ces voies l'attire à l'état le plus haut.
La terre est donc pour elle un grand exil, une dure prison, un tourment cruel. Elle ne ressent pour le monde que dégoût et mépris, rien de ce qui est terrestre ne peut la flatter ni la satisfaire : c'est grande peine pour l'âme d'être ainsi, de devoir vivre au loin et partout étrangère. Elle ne peut oublier son exil ni apaiser sa langueur. Ce qu'elle éprouve est passion et martyre, sans comparaison ni mesure.
Elle a donc grande soif d'être libérée de ce ban et déchargée des liens de ce corps. Le désir la mine, la consume et la dévore d'atteindre le pays de l'éternité. Sous l'empire immense de ce désir, sa condition est dure et pesante
C'est un mal aigu et une vie mourante ! L'âme ne peut monter là-haut ni se sentir en paix ici-bas. Elle ne peut supporter la pensée de l'Ami, tant elle le désire, et la pensée d'en être privée la torture incessamment. Il lui faut vivre tous les tourments, Elle reste donc inapaisée, inconsolée malgré tous les dons qu'elle peut recevoir, tant qu'elle est privée de la présence du Bien-Aimé.
Morte ou vive, elle veut se livrer à l'amour, elle endure en son cœur d'immenses souffrances et c'est pour l'amour seul qu'elle veut gagner la Terre Promise.
Telle est par-dessus tout l'œuvre de l'amour : il veut l'union la plus étroite et l'état le plus haut, où l'âme se livre à l'union la plus intime.
La Bien-Aimée ne cesse donc point de chercher l'amour, elle voudrait le connaître et en jouir toujours, mais c'est chose qui ne peut être en cet exil : elle veut donc migrer vers ce pays où elle a fondé sa demeure et fixé son cœur, où déjà elle repose avec l'amour. Car elle le sait bien, c'est là que tout obstacle cessera et que l'Aimé tendrement l'embrassera.
Elle y contemplera passionnément ce qu'elle a si tendrement aimé; elle possédera pour son salut éternel celui qu'elle a si fidèlement servi; elle jouira en toute plénitude de celui que par l'amour elle a si souvent embrassé dans son âme.

lundi 17 septembre 2012

Ecrire,...ouvrir la porte

 
 

Ecrire, c'est dessiner une porte sur un mur infranchissable, et puis l'ouvrir.
 
Christian Bobin - L'homme-joie

mardi 11 septembre 2012

Evanescence


Orchidée Colombe



Tout ce que nous préservons
de la Beauté
est son Évanescence
(Emily Dickinson)
 
 
 

dimanche 9 septembre 2012

Elle était...




 
Elle était

Elle avait un cœur de cristal :
Chaque fois qu'il débordait de vin d'amour
Les choses en fête dansaient sous sa lumière

Elle était l'oiseau qui ne battait jamais de l'aile
dansant sous les pluies
chantant pour les voyages

Elle était, dans la nuit constellée, une forêt
Que ne pénétrait que l'étoile chargée de songes.
Le parfum s'en exhalait de toutes parts.

Elle est morte …
Le destin chantait alors qu'elle mourait.
De son histoire, elle n'a gardé
Que ce que le vent porte
D'exhalation de parfum.

Aux fleurs rêvant du printemps,
Elle a offert la couleur, puis elle s'est retirée

                                   Poème de Mohamad Ibrahim Abou-Senna

 

jeudi 6 septembre 2012

Le cantique des cantiques

 
 

Le Cantique des Cantiques
ou la psychologie mystique des amants
 
d'après Pierre Trigano & Agnès Vincent
 
«Qui est celle qui monte du désert appuyée
sur son amour ?»
(Cantique des Cantiques 8, 5)
 
«Je dors, mais mon cœur veille. Voix de mon
amour qui frappe : ouvre-moi, ma sœur, ma
compagne…»
(Cantique des Cantiques 5, 2)
 
Rabbi Hayen de Vologine ( 12°siècle ) écrivait ainsi :
 
«Le texte de la Torah est une braise sous la
cendre de ses lettres, la vivacité de la flamme
qu’on en tire dépend de la longueur du souffle
de celui qui l’anime».
Le sens littéral de ce texte, tel qu’il est codifié et transmis de manière rigide par les institutions religieuses est certes comme une cendre refroidie, statique.  Dès lors son texte est pour ainsi dire fermé et toutes les générations de croyants doivent se conformer à un sens pré-établi. Celui-ci, comme une cendre à la surface de ce texte, nous cache ainsi qu’il est une braise vivante, en ses profondeurs.
Il est cette braise, parce qu’il véhicule une puissance symbolique infinie, en tant que structure signifiante de la présence infinie de celui que le Cantique des Cantiques nomme comme étant notre Amour, le Bien-aimé, le Compagnon.
 
le poète soufi iranien Rumi (13ème siècle) a pu écrire :
 
«L’état d’amour est en dehors des religions et de
la foi.
Dieu est la religion de l’amant.
Dieu est l’état de l’amant».
Mathnawi II, 1770.
 

dimanche 2 septembre 2012

"Il était une fois"...


[...] Tu es le conte, non la réalité...tu es le conte , parce que tu es mon amour,[...] j'ai un regard magique pour mieux te voir, [...]

Extrait des lettres à L'Amant - Tome 2


Une flamme pour personne



[...] Savez-vous qu'il me semble, à présent, que Michel fut seulement le prétexte de l'amour -- qu'il n'en est plus que le symbole, le signe ? Pourquoi je pense cela ? Parce qu'Il est absent, et que l'amour demeure; parce que la réalité de sa présence ne me cerne plus et que l'amour me comble. Michel, un mythe, et mon amour seule réalité -- et pas tellement l'amour de Lui, comme ce fut ou comme je le crus (?); l'amour (tout court) et je crois que je pourrais dire: sans objet, ou plutôt sans objet exclusif: moi, une flamme pour personne, pour rien, ma propre limite.

Extrait de Lettres à l'Amant - Tome I



"Moi, une flamme pour personne, pour rien, ma propre limite."