dimanche 7 septembre 2014

Courses solitaires





Mardi 10h [Avril 1963]


[...] Non, je ne fus jamais condamnée à la promenade en famille le long des rues. Mes parents n'affectionnent pas plus que moi cette sorte de déambulations, et du plus loin que je sache, il y eut ces courses solitaires -ou parfois avec la petite sœur ou les deux ou trois camarades que je retrouvais le jeudi et qui n'aimaient pas plus que moi battre de leur semelle le « Boulevard Carnot». L'été, jupons relevés, tenant nos chaus­sures à la main, nous descendions les ruisseaux... de pierre en pierre, secrètement ravies si quelque faux-pas opportun nous donnait le prétexte de nous mouiller jusqu'au ventre -malgré la défense maternelle. 
Plus tard d'ailleurs, à force de harceler les Puissances, nous avons obtenu la permission de nous bai­gner... Mais il pouvait se faire que la place à notre arrivée fût usurpée; et filles sages, nous n'aurions su, alors(!), nous ébattre en compagnie de garçons nus. Il nous restait les bois. Et je ne t'en dirai rien, non, que tu n'y sois venu... Je m'y glissais en tapinois, presque en voleur; comme à la recherche de demeures perdues; ou comme si, venue silencieusement, j'allais surprendre quelque fête qui ne puisse se dérouler qu'en l'absence de spectateurs : et je prenais garde à ne pas faire craquer les feuilles sous mes pas. Mais la fête continuait semblait-il partout où je n'étais pas. Peut-être, privilégié, y assisteras-tu... 
                                                           Mireille Sorgue - Lettres à l'Amant - TomeI


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