samedi 5 octobre 2013

René Char et Tina Jolas : "Entre folie et lucidité"



Isabelle MIGNOT - Eclair de lucidité
 
René Char n’a cessé de régler son existence sur la haute idée qu’il se faisait de la poésie, quitte à en faire payer le prix parfois douloureux à lui-même ainsi qu’à ses proches, compagnons ou compagnes. On pense ici, par exemple, à la relation si particulière qui a uni le poète à Tina Jolas.  Dans la biographie qu’elle fait du poète, « Là où brûle la poésie » Danielle  Leclair place cette relation :   « sous le double signe de l’absence et du désir, entre pulsion sadique et fiction littéraire », l’amour inconditionnel de l’une se pliant à la volonté de l’autre. 
De 1957 à 1987, René Char et Tina Jolas ont entretenu une liaison fiévreuse, et en grande partie épistolaire.
 
 

 
Lettres de Tina à son amie Carmen
Paris, août 1958

« J'ai passé des journées et des nuits entières de plus en plus proche de lui, dans son emprise amoureuse, terriblement amoureuse de lui, et lui aussi s'est inventé un besoin de moi tout entière, aussi une sorte d'anxiété de ma présence. Je suis comme les deux côtés de l'horizon. Ce ciel envahi de nuages splendides mais douloureux (je me compare au ciel !!!!!) Ils vont se refermer sur moi (...) Quand je vois Char, je sens à la fois une pesanteur, un souffle, je sais que je tremble, que sa main sur moi, la barre noire de son regard oppriment ma poitrine, me donnent le besoin de respirer plus fort et de me jeter dans ses bras. Sa présence avec moi devant quelque chose, j'étais au Louvre voir avec lui les Poussin, les Titien par exemple, donne à ce lieu, à cet objet à jamais quelque chose de doué d'ombre et de lumière d'une beauté insensée (...)L'angoisse que je sens en lui (Char) pour moi, son besoin de me voir, de m'avoir me donne une sorte de vertige. C'est impossible. Je sens gronder en moi, pour lui, de tels abîmes de déchirement, qu'est-ce que je vais sauver, inventer pour moi ?... »
Les Busclats, 13 janvier 1988.

Il faut que je te dise la vérité (...) Je vais m'éloigner de René, le quitter. Il y a un certain temps que je le voulais, mais(...) c'est très difficile de quitter un homme qui tient à vous, et vous le dit et vous le prouve ! (...) de jour en jour je ne voyais pas clair. J'ai eu ma part, infinie, si pleine, si inouïe de bonheur sur terre, et je veux à présent vivre vraiment.
Je ne supporte plus la folie - sa pauvre, chère folie mêlée à son grand âge, à son génie, à la poésie et aussi à la malignité. Je me sens très forte et légère, ayant à faire, à construire, à travailler, à faire grandir. Tu te rappelles la phrase d'Akhmatova : Nadejda Mandelstam - hâve, hagarde, durant la guerre à Tachkent - qui dit : "Mais est-ce qu'Ossia m'aurait aussi quittée dans sa vieillesse ?" et Akhmatova avec assurance : "Mais très certainement !". En vérité, je ne sais qui quitte qui, mais j'ai un absolu besoin de ma liberté.(...)
 
 
 

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