lundi 6 avril 2015

Mes privilèges





[...] Ce fut quand j'entrai en classe de sixième, à l'âge de dix ans, qu'on me permit de travailler tôt le matin. Ma grand-mère, très matinale par goût autant que par la nécessité qui la faisait alors travailler à l'usine, avait la charge de m'éveiller.
Je la devinais avant même qu'elle ouvrît la porte et n'attendais pas qu'elle se soit penchée sur mon lit pour rejeter les draps. Elle était toujours confuse alors, pleine de regrets: « Il n'est que... Repose-toi encore un peu, ma fille», presque sup­pliante. Mais j'étais trop heureuse. Nous évitions de faire du bruit : la petite sœur dormait. 


Rien de plus constant, de plus têtu que son sommeil; rien qui m'étonnât plus, qui m'irritât même que ce refus d'être au jour, que cette nonchalance, cette désinvolture. Comme s'il était sans conséquence d'être en retard quotidiennement!
A dix ans, à quinze ans, à vingt ans... nous n'avons l'une ni l'autre changé. C'est une chose sue de tous dans la famille que cette opposition de nos caractères, de nos habitudes. Je persiste dans mes privilèges...
                                                 Mireille Sorgue - Extrait de "L'Amant"

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