[...] la littérature est un
fait universel. La littérature,
c’est le gouvernement du genre humain par l’esprit humain,
La propriété littéraire est d’utilité générale. Toutes les vieilles législations monarchiques ont nié et nient encore la propriété littéraire. Dans quel but ? Dans un but d’asservissement. L’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre. Lui ôter la propriété, c’est lui ôter l’indépendance. On l’espère du moins. De là ce sophisme singulier, qui serait puéril s’il n’était perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n’existe pas. La pensée de l’écrivain, en tant que pensée, échappe à toute main qui voudrait la saisir ; elle s’envole d’âme en âme ; elle a ce don et cette force, — virum volitare per ora — ; mais le livre est distinct de la pensée ; comme livre, il est saisissable, tellement saisissable qu’il est quelquefois saisi...
Voilà où mène la confiscation de la propriété née du travail, soit que cette confiscation pèse sur le peuple, soit qu’elle pèse sur l’écrivain.
Messieurs, rentrons dans le principe : le respect de la propriété. Constatons
la propriété littéraire, mais, en même temps, fondons le domaine public. Allons
plus loin. Agrandissons-le. Que la
loi donne à tous les éditeurs le droit de publier tous les livres après la mort
des auteurs, à la seule condition de payer aux héritiers directs
une redevance très faible, qui ne dépasse en aucun cas cinq ou dix pour cent du
bénéfice net. Ce système très simple, qui concilie la propriété incontestable
de l’écrivain avec le droit non moins incontestable du domaine public, a été
indiqué ; dans la commission de 1836, par celui qui vous parle en ce
moment ; et l’on peut trouver cette solution, avec tous ses
développements, dans les procès-verbaux de la commission, publiés alors par le
ministère de l’intérieur.
Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à
l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop
vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un
des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait
être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation
unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.
Ah ! la lumière ! la lumière toujours !
la lumière partout ! Le besoin de tout c’est la lumière. La lumière est
dans le livre.
Ouvrez le livre tout
grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire...
...Vous
avez soin de vos villes, vous voulez être en sûreté dans vos demeures, vous
êtes préoccupés de ce péril, laisser la rue obscure ; songez à ce péril
plus grand encore, laisser obscur l’esprit humain. Les intelligences sont des routes ouvertes ; elles ont des
allants et venants, elles ont des visiteurs, bien ou mal intentionnés, elles peuvent
avoir des passants funestes ; une mauvaise pensée est identique à un
voleur de nuit, l’âme a des malfaiteurs ; faites le jour partout ; ne laissez pas dans l’intelligence
humaine de ces coins ténébreux où peut se blottir la superstition, où peut
se cacher l’erreur, où peut s’embusquer le mensonge. L’ignorance est un
crépuscule ; le mal y rôde. Songez à l’éclairage des rues, soit ;
mais songez aussi, songez surtout, à
l’éclairage des esprits...
Victor Hugo - Extrait du "Discours
d’ouverture du Congrès littéraire international " - 7 juin 1878
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