dimanche 24 août 2014

Mireille et Verlaine


Paul Verlaine par Gustave Courbet


[16 Mai 1965]

…Je passerai ce jour dans la fréquentation de Verlaine; je n'ai besoin ici de nul intercesseur, je connais par le cœur cet être si semblable à moi, cette âme féminine, pusillanime... Ne suis-je pas saturnienne, moi aussi, pareillement instable lieu de la même perpétuelle alternance de vigueur et de lâcheté, et triste toujours de ne savoir faire cesser en moi ce mouvement qui me ruine, triste toujours, et toujours espérant d'y parvenir? Aussi cette poésie est-elle pour moi sans mystère, sans aura; j'y trouve mon portrait secret et détesté, l'aveu que je tente en vain de retenir d'une attristante faiblesse d'âme, d'une trop vulnérable humanité; ce même désir toujours d'être conforté, et même châtié, ces mêmes exagérations de la joie comme de l'angoisse - un cœur tyrannique, battant à rompre la machine, la même incontinence dans la plainte... Ce n'est pas me quitter qu'être avec lui, pauvre vieux bonhomme gênant, qui m'émeut et que je voudrais retuer en moi, pauvre musique rompue, mélodie dispersée qui cherche à se raccorder... Je ne suis dupe de rien, vieux naïf roué; je ne me prends pas à ces litanies faites pour s'incanter, se rassembler soi-même...Pas si vaincu pourtant: exemplaire défaite que celle de l'esprit le plus frêle, et meurtri, le plus charnel, le plus mortel, mais qui toujours témoigne et proteste, vivant Verlaine, mon très prochain! Le retuer ? ou bien puisqu'il m'habite le faire vivre encore et vaincre? Semblables? oui mais j'ai, au lieu de l'ardoise et la brume, les tuiles et le soleil. Mes paysages intérieurs sont des paysages heureux, et le soleil donne l'oubli des fautes ou des insuffisances.



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