Paul Verlaine par Gustave Courbet |
[16 Mai
1965]
…Je
passerai ce jour dans la fréquentation de Verlaine; je n'ai besoin ici de nul
intercesseur, je connais par le cœur cet être si semblable à moi, cette âme féminine,
pusillanime... Ne suis-je pas saturnienne, moi aussi, pareillement instable
lieu de la même perpétuelle alternance de vigueur et de lâcheté, et triste
toujours de ne savoir faire cesser en moi ce mouvement qui me ruine, triste
toujours, et toujours espérant d'y parvenir? Aussi cette poésie est-elle pour
moi sans mystère, sans aura; j'y trouve mon portrait secret et détesté, l'aveu
que je tente en vain de retenir d'une attristante faiblesse d'âme, d'une trop
vulnérable humanité; ce même désir toujours d'être conforté, et même châtié,
ces mêmes exagérations de la joie comme de l'angoisse - un cœur tyrannique,
battant à rompre la machine, la même incontinence dans la plainte... Ce n'est
pas me quitter qu'être avec lui, pauvre vieux bonhomme gênant, qui m'émeut et
que je voudrais retuer en moi, pauvre musique rompue, mélodie dispersée qui
cherche à se raccorder... Je ne suis dupe de rien, vieux naïf roué; je ne me
prends pas à ces litanies faites pour s'incanter, se rassembler soi-même...Pas si
vaincu pourtant: exemplaire défaite que celle de l'esprit le plus frêle, et meurtri,
le plus charnel, le plus mortel, mais qui toujours témoigne et proteste, vivant
Verlaine, mon très prochain! Le retuer ? ou bien puisqu'il m'habite le faire
vivre encore et vaincre?
Semblables? oui mais j'ai, au lieu de l'ardoise et la
brume, les tuiles et le soleil. Mes paysages intérieurs sont des paysages
heureux, et le soleil donne l'oubli des fautes ou des insuffisances.
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