dimanche 1 juin 2014

Toulouse des années soixante - JR.Geyer








Quand je repense au Toulouse des années soixante, […]


L’echo des pavés, l’odeur de la ville,

C’est la ville surtout que je revois. Les rues où j’allais tard la nuit à l’écho des pavés où je pouvais me perdre, après avoir longé la Garonne d’en haut, sous les platanes. […] En ce temps-là, Toulouse avait une autre odeur et un visage qui ne lui ressemble plus. C’était quand les monuments avaient des façades sombres,  que les immeubles de la rue Bayard avaient la pierre rincée de suie et que la brique n’était pas rose mais comme boucanée. […] La ville tout entière était un peu croupie, comme en attente, que rien ne révélait ; sauf la patine du temps. Les places vivaient d’une façon plus intense, il me semble. Place du Capitole, le Tortoni était comme une ruche où d’une façon fatale on se retrouvait les uns et les autres, où les filles s’attardaient en ajustant leurs jupes de flanelle grise en haut des jambes, selon la nouvelle mode, et en blazer foncé 



A livre ouvert, visage caché….

Mes activités étaient limitrophes de la vie artistique et je me confinais volontiers à  «la  Bible d’or», haut lieu du livre et des courants de pensée. Georges Ousset, son maître des lieux ressemblait à un bénédictin sans défroque et ses mines donnaient à ses paroles toujours feutrées, un air de complicité et de propos entendus, dont vous deveniez tout aussitôt le confident. Georges Ousset murmurait mais ce qu’il disait tombait d’une chaire et dans son sourire, on lisait une ferveur expressive au travers du propos. «Ah», disait-il, l’air navré vous n’avez pas encore lu le «Maître et Marguerite» en soufflant le nom de l’auteur russe dont on percevait à peine les modulations ; Boulgakov ? «Comment ça ? Mais c’est un livre majeur», disait-il ; tellement essentiel qu’on se trouve véritablement confronté au chef d’œuvre.» Le tout avoué en toute confidence et savouré comme s’il goûtait en même temps ce qu’il disait.

Il y avait l’ombre, la présence lointaine mais évidente de José Cabanis qui œuvrait sur une table ronde, à la terrasse couverte du Covent-Garden place Esquirol ; surtout il y avait Mireille Sorgue, qui fréquentait la bible d’or, écrivait après ses cours en Lettres «L’amant ou célébration de la main» quand elle devenait l’amante de François Solesmes. Mireille Sorgue disparue comme on dit dans la fleur de l’âge, qui s’est jetée d’un train ; à un peu plus de vingt ans ; que la passion dévorait. Elle en laissait les pages de «L’Amant» avant celui de Duras ; publié chez Morel en livre blanc et des lettres écrites au feu qu’Albin Michel a rassemblées. Mireille Sorgue que j’ai dû croiser dans ces années-là, étant moi-même sur le point de convoler.

[…] Je ne me souviens pas seulement des lieux, cafés ou boutiques ou de l’air des rues mais d’un quelque chose qui s’attache au temps ; sans qu’on s’en aperçoive. J’aimais la Toulouse latine, romanisée dans ses architectures, la Garonne plus étalée que celle de Bordeaux, les rues enlacées les unes aux autres que je trouvais nocturnes même en plein jour, les dômes qui donnaient à la rive opposée des airs d’Istanbul et surtout ce que la ville a de féminin au travers de l’Autan quand il souffle en rasant les rues, de celles qui pavaient de leurs pas les places étroites, brunes de teint ; à la lente déambulation. Les fontaines de Toulouse. Ah les fontaines où je me penchais pour y voir tout au fond ce dont je rêvais…  

J.R.Geyer- Extrait d'un article du journal toulousain


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