Jeudi 14 h [22 novembre 1962]
[...] L'après-midi, je lus les Lettres à un jeune poète
de Rilke, dont je
connaissais à peine quelques phrases; ce sentiment poignant qu'Il parlait pour
moi aussi, que j'étais concernée... et j'écoutais le cœur battant. Vous savez
bien qu'il n'y a pas là vanité, ni aucune mascarade, et que je ne me donne pas
l'air de comprendre ce qui m'est étranger; seulement douloureuse
reconnaissance. Je sursautais presque à certaines phrases; j'avais oublié
l'heure et le lieu, je m'ouvrais toute à la parole qui disait si bien ma
vérité nue. Seule, oh combien seule; malgré Toi, mon AMI -«Nous sommes solitude»
-Mon père un jour déjà m'avait dit ou plutôt crié, et désespérément, car nos «rencontres», rares, sont
brutales et déchirantes: «Nous sommes seuls. » Mais je ne le savais pas
encore. «Ainsi pour celui qui
devient solitude, toutes les distances, toutes les mesures changent» -et ceci à
quoi vous fîtes allusion dans l'une de vos lettres: « Le temps, ici, n'est pas
une mesure. Un an ne compte pas; dix ans ne sont rien. Être artiste c'est ne
pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui
résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l'été ne puisse pas venir. L'été
vient... », et bien d'autres choses
encore que vous avez dû lire avec autant de ferveur que moi.
Mireille Sorgue - Extrait "Lettres à l'Amant" Tome I
|
Portrait de Rainer Maria Rilke par Helmuth Westhoff 1901 |
"Car au fond, et précisément pour les choses les plus profondes et les plus importantes, nous sommes inqualifiablement seuls."
"Lettres à un jeune poète" de rainer Maria Rilke
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous pouvez ajouter un commentaire ici