« Car je veux être reine de mes soleils et de mes peines, tenir les clefs des cités que je hante et garder enclose dans ma parole la fugitive vie que je m’émerveille d’entendre battre à mes tempes. » Mireille Sorgue
[...] L'après-midi, je lus les Lettres à un jeune poète
de Rilke, dont je
connaissais à peine quelques phrases; ce sentiment poignant qu'Il parlait pour
moi aussi, que j'étais concernée... et j'écoutais le cœur battant. Vous savez
bien qu'il n'y a pas là vanité, ni aucune mascarade, et que je ne me donne pas
l'air de comprendre ce qui m'est étranger; seulement douloureuse
reconnaissance. Je sursautais presque à certaines phrases; j'avais oublié
l'heure et le lieu, je m'ouvrais toute à la parole qui disait si bien ma
vérité nue. Seule, oh combien seule; malgré Toi, mon AMI -«Nous sommes solitude»
-Mon père un jour déjà m'avait dit ou plutôt crié, et désespérément, car nos «rencontres», rares, sont
brutales et déchirantes: «Nous sommes seuls. » Mais je ne le savais pas
encore. «Ainsi pour celui qui
devient solitude, toutes les distances, toutes les mesures changent» -et ceci à
quoi vous fîtes allusion dans l'une de vos lettres: « Le temps, ici, n'est pas
une mesure. Un an ne compte pas; dix ans ne sont rien. Être artiste c'est ne
pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui
résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l'été ne puisse pas venir. L'été
vient... », et bien d'autres choses
encore que vous avez dû lire avec autant de ferveur que moi.
Mireille Sorgue - Extrait "Lettres à l'Amant" Tome I
Portrait de Rainer Maria Rilke par Helmuth Westhoff 1901
"Car au fond, et précisément pour les choses les plus profondes et les plus importantes, nous sommes inqualifiablement seuls."
Rappelle-toi, quand sous la froide terre Mon cœur brisé pour toujours dormira; Rappelle-toi, quand la fleur solitaire Sur mon tombeau doucement s'ouvrira. Je ne te verrai plus; mais mon âme immortelle Reviendra près de toi comme une sœur fidèle
Écoute dans la nuit, Une voix qui gémit : Rappelle-toi ...
[...]
Devine, devine ce que j'eus ici en cadeau de Noël? Autour de moi, mon père et
ma mère, Manou, ma soeur, à l'affût de ma joie -prolongeant l'attente,
jouissant déja de ma surprise incrédule, du sourire déchiré, des gestes
précautionneux, un peu tremblants... On m'avait dit : "Ferme les
yeux..." je les entendais rire doucement...
Un électrophone, plus beau que celui de l'école... Un electrophone que je vais
emporter à Toulouse, bien sûr; tu vois, je suis sauvée. A force de tendresse...
J'écoute Mozart, j'écoute Robeson, Bach (Offrande musicale.
Orchestre de chambre Pro arte de Munich, direction Kurt Redel- enregistrement
Erato). Sonates de Bethoven. Chants d'Ukraine. J'écoute de la musique...
Inétanchable, ma soif. Sauvée! Le père Noël est décidément quelqu'un qui sait
tout, qui devine à merveille. Et puis mon ami lui a soufflé dans l'oreille une
supplique convaincante...
Mireille Sorgue-Extrait "Lettres à l'Amant" - Tome I
Le manuscrit montre une seule
portée dont le début est joint avec la fin....
Un fibré en droite sur le cercle connu sous le nom de ruban de Möbius.
...deux voix dont la symétrie détermine une évolution réversible.
Un univers est construit, puis déconstruit vers le silence...