samedi 10 mai 2014

...Tout ou rien, et tout et rien, et rien du tout ?






Jeudi matin [21 mars 1963]

[...] Du reste, le poème ne commence que lorsque je me tais. Alors... Alors sûrement il y a erreur; et je me glisse et me coule comme un voleur dans cette chance qui m'échoit, à la mesure de laquelle il faut que j'atteigne avant que l'on ne s'aperçoive qu'elle ne m'était pas destinée. Grandir à la mesure de ma chance jusqu'à faire corps avec elle, jusqu'à habiter juste cette douce nouvelle peau ... Aurai-je jamais le temps d'y par­venir? Je t'aime gravement. Je t'aime désespérément.
Et toujours cette nostalgie d'une perfection fugitive. Un désir de vivre au juste poids de la mort, exactement équilibré par la mort,
Et toi d'un grand trait tu barres cette phrase, et tu écris: Un désir de vivre au juste poids de l'amour, exactement équilibré par l'amour, 


Et je te crois. Heureusement que tu es là pour corriger mes erreurs. Mais justement j'aurais voulu qu'il n'y eût pas de rature. Tu dis que c'est cela, vivre? Se raturer pour vivre mieux? Mais j'aurais voulu moi te donner d'un seul coup quelque chose de parfait, fût-ce un seul geste parfait, fût-ce une seule parole parfaite. Et je vois que c'est une soif d'inhumain, une soif de dissolution. Mon épaisseur me gêne. Mon poids humain me gêne, et d'être profonde et limitée; toute mesure ne m'est assez vaste, ni assez irréductible. Comment cela s'appelle-t-il ce désir d'être tout ou rien, et tout et rien, et rien du tout? 


Mireille Sorgue - Extrait "Lettres à l'Amant" - Tome 1




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