vendredi 25 juillet 2014

Pauvre petite fille...






Jeudi  [ 26 mars 1964]

[...] Hier matin, j'ai reçu de Marie-France une lettre bou­leversante. Tu la liras (et je sais que tu la comprendras; pauvres, pauvres filles...). Je lui avais brièvement écrit pour son anni­versaire, en lui disant que je regrettais que l'habitude et la pudeur nous fassent toutes deux aussi silencieuses. Elle s'ex­plique sur ce silence, et le rompt exceptionnellement, pour ma plus grande peine. Comment n'avoir pas les larmes aux yeux devant cette dureté, qui n'est que cicatrice, ce pauvre orgueil douloureux qu'elle érige en défense? Moi qui pensais qu'elle allait mieux! Quelle solitude... Ce mépris? Oui, il me semble bien l'avoir éprouvé -et pourtant je n'avais pas d'orgueil puisque je me diluais dans la masse, me laissais submerger, couler, puisque je m'abîmais, et ne croyais pas valoir d'être sauvée. Elle se révolte, c'est peut-être un signe de vigueur; moi je n'avais que la tentation de dormir que résumait cette petite phrase ressassée: -Sommeil, soleil, désir de mort lente, désir de mort vive...  
Je ne connais pas son amie qui en est « aux premiers jours de sa peine», mais je souhaite qu'elles s'aident l'une l'autre. Seulement, je sais bien qu'il faudrait un ami. Ami... Il lui manque pourtant de connaître ce qu'est la mort; elle n'a pas encore (elle me l'a dit), découvert l'absurde, elle ne l'éprouve pas. Elle ne doute encore que des autres, non d'elle-même. « C'est peut-être mon orgueil qui me sauvera. »  Oui. Pauvre petite fille. 

Mireille Sorgue - Lettres à l'Amant - Tome II

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