lundi 20 mai 2013

Héloïse et Abélard





Lettre d'Héloïse à Abélard
 
(Héloïse dans sa cellule répond à une lettre d'Abélard)
 
Ai-je d'autre vertu que celle de l'amour?
Viens, n'écoute que moi, moi seule je t'appelle
Abélard, sois sensible à ma douleur mortelle.
Toi, dans qui je trouvais, père, époux, frère, ami,
toi de tous les amants, l'amant le plus chéri
Ne vois-tu plus en moi ton épouse charmante,
ta fille, ton amie et surtout ton amante?
Viens, ces arbres touffus, ces pins audacieux,
dont la cime s'élève et se perd dans les cieux,
Ces ruisseaux argentés, fuyant dans la prairie,
l'abeille, sur les fleurs, cherchant son ambroisie,
le zéphir qui se joue au fond de nos bosquets,
ces cavernes, ces lacs, et ces sombres forêts,
ce spectacle riant, offert par la nature,
n'adoucit plus l'horreur du tourment
que j'endure
L' ennui, le sombre ennui, triste enfant du dégoût,
dans ces lieux enchantés se traîne, et corrompt tout.
Il séche la verdure, et la fleur pâlissante
se courbe et se flétrit sur sa tige mourante.
Zéphir n' a plus de souffle, écho n' a plus de voix,
et l' oiseau ne sait plus que gémir dans nos bois.
Hélas ! Tels sont les lieux où, captive, enchaînée,
je traîne dans les pleurs ma vie infortunée,
cependant Abélard, dans cet affreux séjour,
mon cœur s' énivre encore des poisons de l' amour.
Je n' y dois mes vertus qu' à ta funeste absence,
et j' y maudis cent fois ma pénible innocence.
Moi, dompter mon amour quand j' aime avec fureur !
Ah ! Ce cruel effort est-il fait pour mon cœur ?
Avant que le repos puisse entrer dans mon âme,
avant que ma raison puisse étouffer ma flamme,
combien faut-il encore aimer, se repentir,
désirer, espérer, désespérer, sentir,
embrasser, repousser, m' arracher à moi-même,
faire tout, excepté d' oublier ce que j' aime.
ô funeste ascendant ! ô joug impérieux !
Quels sont donc mes devoirs, et qui suis-je en ces lieux ?


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