samedi 5 mars 2016

Alphonse de Lamartine - Souvenir





Souvenir

 

En vain le jour succède au jour,
Ils glissent sans laisser de trace ;
Dans mon âme rien ne t’efface,
Ô dernier songe de l’amour !

Je vois mes rapides années
S’accumuler derrière moi,
Comme le chêne autour de soi
Voit tomber ses feuilles fanées.

Mon front est blanchi par le temps ;
Mon sang refroidi coule à peine,
Semblable à cette onde qu’enchaîne
Le souffle glacé des autans.

Mais ta jeune et brillante image,
Que le regret vient embellir,
Dans mon sein ne saurait vieillir
Comme l’âme, elle n’a point d’âge.

Non, tu n’as pas quitté mes yeux;
Et quand mon regard solitaire
Cessa de te voir sur la terre,
Soudain je te vis dans les cieux.

Là, tu m’apparais telle encore
Que tu fus à ce dernier jour,
Quand vers ton céleste séjour
Tu t’envolas avec l’aurore.

Ta pure et touchante beauté
Dans les cieux même t’a suivie ;
Tes yeux, où s’éteignait la vie,
Rayonnent d’immortalité !

Du zéphyr l’amoureuse haleine
Soulève encor tes longs cheveux ;
Sur ton sein leurs flots onduleux
Retombent en tresses d’ébène,

L’ombre de ce voile incertain
Adoucit encor ton image,
Comme l’aube qui se dégage
Des derniers voiles du matin.

Du soleil la céleste flamme
Avec les jours revient et fuit ;
Mais mon amour n’a pas de nuit,
Et tu luis toujours sur mon âme.

C’est toi que j’entends, que je vois,
Dans le désert, dans le nuage;
L’onde réfléchit ton image;
Le zéphyr m’apporte ta voix.

Tandis que la terre sommeille,
Si j’entends le vent soupirer,
Je crois t’entendre murmurer
Des mots sacrés à mon oreille.

Si j’admire ces feux épars
Qui des nuits parsèment le voile,
Je crois te voir dans chaque étoile
Qui plaît le plus à mes regards.

Et si le souffle du zéphyr
M’enivre du parfum des fleurs.
Dans ses plus suaves odeurs
C’est ton souffle que je respire.

C’est ta main qui sèche mes pleurs,
Quand je vais, triste et solitaire,
Répandre en secret ma prière
Près des autels consolateurs.

Quand je dors, tu veilles dans l’ombre ;
Tes ailes reposent sur moi ;
Tous mes songes viennent de toi,
Doux comme le regard d’une ombre.

Pendant mon sommeil, si ta main
De mes jours déliait la trame,
Céleste moitié de mon âme,
J’irais m’éveiller dans ton sein !

Comme deux rayons de l’aurore,
Comme deux soupirs confondus,
Nos deux âmes ne forment plus
Qu’une âme, et je soupire encore !
                                                                                 Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques

Sylvia Plath - Combien de temps...



Combien de temps pourrai-je être un mur,
protégeant du vent ?
Combien de temps pourrai-je
Atténuer le soleil de l'ombre de ma main,
Intercepter les foudres bleues d'une lune
froide?
Les voix de la solitude, les voix de la douleur
Cognent à mon dos inlassablement. 

Sylvia Plath (Trois femmes : Poème à trois voix (1975)


mercredi 2 mars 2016

Le lieu sûr



"Tu as été le lieu sûr auquel mon regard est resté fixé." 

Extrait -lettres de Rainer Maria Rilke à Lou Andréas-Salomé

Célébration du corps - François Solesmes

Léda et le Cygne par Hoffmann

[...] Elle était ce qui laisse sans parole, par une sorte de saisissement qui affectait aussi bien l'intellect ou la sensibilité que l'organique. Peut-être parce qu'elle était réponse multiple, indéfinie. Ou parce qu'elle était une forme de silence, imposant silence autour de soi... Mais l'on demeurait sans voix encore pour la raison très simple qu'il n'y avait pas de parole disponible pouvant rendre compte de cette beauté, de sa fixité participant d'une sorte de vivante éternité, et de son passage, de son écoulement, en bref de ce suspens déroulé devant le regard, de cette modification de fleuve qui s'écoule sous sa peau immuable. On était sans parole comme devant tout ce qui nous propose une figure absolue de la nécessité. Ici, la nécessité gouvernait non seulement la forme, mais la combinaison des formes, mais les rapports successifs de la forme et de l'espace. Et c'était avant tout , au fond, la nécessité de la durée...

"La Vénus au Miroir" de Velasquez

[...] Elle était culmination, mais aussi visible apogée. Et tout résidait dans son mode d'insertion dans l'espace, extraordinaire de simplicité et de précision, de justesse. Elle écartelait le ciel, elle ne le masquait jamais, où qu'elle se tînt. Il tournait autour d'elle, découplé comme elle, complet comme elle...

Extrait "Célébration du corps" - François Solesmes

dimanche 28 février 2016

André Breton - L'amour fou




« J’aimerais que ma vie ne laissât après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur, d’une chanson pour tromper l’attente. Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. » 

« Je ne nie pas que l'amour ait maille à partir avec la vie. Je dis qu'il doit vaincre et pour cela s'être élevé à une telle conscience poétique de lui-même que tout ce qu'il rencontre nécessairement d'hostile se fonde au foyer de sa propre gloire. »

 «Je vous souhaite d'être follement aimée.»
                                                 André Breton - Extrait de "L'amour fou"

dimanche 20 décembre 2015

Jean Giono - L'homme qui plantait des arbres



Pour que le caractère d'un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l'idée qui la dirige est d'une générosité sans exemple, s'il est absolument certain qu'elle n'a cherché de récompense nulle part et qu'au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d'erreurs, devant un caractère inoubliable. 

Jean Giono - L'homme qui plantait des arbres




dimanche 29 novembre 2015

Paul Valéry - Les pas



Les pas
 
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.

Personne pure, ombre divine,
Qu'ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !... tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !

 
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l'apaiser,
A l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser, 

 
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n'était que vos pas. 


                                                  Paul Valéry - Extrait de poésies- Charmes 


mardi 3 novembre 2015

André de Richaud - La douleur



"Nous sentons qu'au fond de nous-mêmes, notre mort s'apprête, parce que nous ne pouvons faire la preuve essentielle de notre vie."

                                                                                  Extrait de La Douleur  - André de Richaud 


 

dimanche 25 octobre 2015

Maria Rainer Rilke – Pour écrire un seul vers…



Maria Rainer Rilke – Pour écrire un seul vers…

Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles, – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver  qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.

mercredi 7 octobre 2015

Demain le perpétuel dimanche


Jeudi [23 avril 1964]

[...] ...Je vais te voir|- Se peut-il? 

             Oui, et je sais déjà que tout fut limpide et neuf, les sources drues et tes lèvres, feuille vivante, que je déchirerai doucement, selon sa nervure, pour chanter au travers, pour boire le jour au-delà... Le plus bel arbre c'est ta main, et l'arbre jumeau de mon sang qu'elle rassemble en gerbe, et le plus beau navire c'est toi comme une étrave qui m'ouvre avec vaillance, et le plus beau voyage c'est ton sillage de velours et mon vertige, la plus belle terre du monde celle où nous échouons ensemble, où je te reconnais vivant, où tu me reconnais, où nous nous découvrons, où nous venons de naître.
             * Demain c'est dimanche. Demain le perpétuel dimanche * bonjour. 
                                                      Mireille Sorgue - Lettres à l'Amant- tome II