dimanche 22 décembre 2013

Mozart: Concerto pour flûte et harpe - Paul Robeson: Deep River

 


 
Samedi 14h  [15décembre 1962]
 
[...] Si seulement tu pouvais me voir sourire, Ami... Maman m'a apporté tout à l'heure cet envoi que mon Père Noël particulier me fait un peu à l'avance... Enfant privilégiée! J'ai écouté le Concerto pour flûte et harpe et la première face du disque de Paul Robeson (et j'en ai pris grand soin en les manipulant). Je ne sais pas parler de musique mais je demeure interdite et tremblante devant la somptuosité de l'offrande. Ami, mon ami à l'infini, reçois mon sourire, je t'en prie, le sourire que tu réveilles -Merci tout simplement. J'écrirai plus longuement quand je surgirai de l'enchantement, mais à cette heure mon ami, j'ai la gorge serrée d'un bonheur fragile encore, mais triomphant.
 
Extrait de Lettres à L'Amant - Tome I


 
 
 

vendredi 6 décembre 2013

Comment vais-je choisir de vivre?







Lundi   Nuit  [18 février 1963]

[...] Ah, comment vais-je vivre, comment fait-on pour vivre, sans déchet, pour vivre d'une flamme pure? Comment vais-­je choisir de vivre? Et suis-je libre à présent de choisir ­puisque mue par une intransigeance qui me fait bien voir ce que je dois faire, ce que je veux faire? Mon ami-à-moi, peut-être ne saurai-je pas; il y faut et toujours davantage, plus de patience. Il me semble que je cours d'un grand élan vers le soleil -que je me précipite. Pour m'accomplir et c'est peut-être en même temps me consumer toute. J'ai dix­ neuf ans bientôt, et ne sais si j'en pleure ou j'en ris. Ma peine d'hier a saccagé mon ordonnance intime; la morale mise à bas; chancelante la tradition; désordre; beau désordre pourtant -mais il faut que je m'en saisisse, et que je ne laisse rien perdre. Le structurer, l'édifier. Tout est possible aujourd'hui: comment dès lors ne pas être ivre, et tournoyer entre toutes les richesses préhensibles, et n'en rien prendre pour avoir voulu tout emporter?.. Choisir me désespère, car plus qu'une élection, j'y vois le refus de ce dont je me détournerai. Peut-être vais-je, comme une abeille que solli­citent trop de senteurs, demeurer indécise... Rien qui me rassasie: et je désire ce que je n'ai pas, et me désole de devoir ne prendre qu'une part des offrandes. Me tailler une part: voilà ce que je fais sans m'y résoudre -et si démesurée que je la veuille, elle m'apparaît encore dérisoire...

Extrait de "Lettres à L' Amant" Tome I