dimanche 27 avril 2014

L'empreinte - Anna de Noailles





L'empreinte


Je m'appuierai si bien et si fort à la vie,
D'une si rude étreinte et d'un tel serrement,
Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s'échauffera de mon enlacement.

La mer, abondamment sur le monde étalée,
Gardera, dans la route errante de son eau,
Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.

Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir,
Et la cigale assise aux branches de l'épine
Fera vibrer le cri strident de mon désir.

Dans les champs printaniers la verdure nouvelle,
Et le gazon touffu sur le bord des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.)

La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l'air ma persistante ardeur,
Et sur l'abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon coeur... 

Anna de Noailles ( 1876 - 1933)


jeudi 24 avril 2014

Patience dans l'azur




Ces jours qui te semblent vides
Et perdus pour l'univers
Ont des racines avides
Qui travaillent les déserts
(...)
Patience, patience,
Patience dans l'azur!
Chaque atome de silence
Est la chance d'un fruit mûr!
(...)
Tu n'as pas perdu ces heures
Si légère tu demeures
Après ces beaux abandons ;
Pareille à celui qui pense
Et dont l'âme se dépense
À s'accroître de ses dons !


Paul Valéry -
extrait de " Palme "
 Charmes 1922 .

Le rêve du poète - Paul Cezanne

 
Paul Cezanne - Le rêve du poète


"La véritable condition d'un véritable poète est ce qu'il y a de plus distinct de l'état de rêve. Je n'y vois que recherches volontaires, assouplissement des pensées, consentement de l'âme à des gênes exquises, et le triomphe perpétuel du sacrifice."

   Paul Valéry - extrait de "Variété" (1924)

samedi 19 avril 2014

"Le rêve sera-t-il aussi invitation au réel ?"...






[…] J'ai bien dormi. D'un sommeil noir, noir comme terre et comme elle, profond. 





 
M’éveillant au premier clin de jour, je te regardai dormir un long moment, mon enfant nu, mon amour; puis je défis précautionneusement tes bras noués à ma taille, et te laissant reposer, je sortis... 






Lorsque je te revins, toute humide de sueur et de rosée, mon baiser sans doute eut goût de menthe mûre, et mes bras la vigueur verte des jeunes arbres;





... je fis mes mains douces et lisses comme ciel à huit heures du matin, et dorée ma caresse, tout un pré de boutons
d'or sur Toi ! 







 
Et je riais, oui, car tu ne savais ce qui t'arrivait, et tu t'étonnais de t'éveiller dans ce jardin sauvage, sous l'emprise vorace des herbes folles... Puis tu me reconnus et repris possession de moi avec le monde autour...


                                                                         Mireille Sorgue - Extrait "Lettres à L'Amant" Tome I



Susan L. Carrel a commenté cet extrait dans  les Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1987, N°39.  "La lettre d'amour aujourd'hui : Mireille Sorgue"

[...] La vivacité de la scène nous enchante, et tout lecteur apprécie la parfaite justesse de l'association progressive entre Mireille et cette nature verte et vigoureuse où elle vient de se promener. Vibrante, vivante, éclatante de santé et d'énergie, « gourmande de [sa] vie même », cette jeune femme, qui se levait habituellement longtemps avant les autres par pur plaisir, traduit tout naturellement en paysages et en fleurs la joie de vivre aiguë qui l'anime, la volupté d'aimer et de se confondre avec les choses de la vie. Mais pour tout saisir de ce récit de Mireille, il faut se mettre à la place du premier destinataire, l'amant. Étonné de se trouver soudain dans un monde imaginaire — car toute cette narration si précise dans ses moindres détails est imaginaire — il apprend sa participation à une scène délicieuse d'amour. Et son plaisir de lecture, plaisir qui est sa propre fin, se prolonge d'une anticipation... Le rêve sera-t-il aussi invitation au réel ?

jeudi 10 avril 2014

Extrait de L'AMANT - Mireille SORGUE







[...] Je dis souvent que je veux t'aimer mieux. Je suis sûre que je peux, si je le veux, t'aimer mieux. Mais il ne suffit pas d'être appliquée et fervente dans tout ce que je fais, à tous les moments du jour pour te faire honneur constamment. Il faut aussi que je fasse cet effort de m'exprimer. Car de quel secours peut t'être un amour auquel tu crois sans le connaître mieux que si j'étais muette ? D'ailleurs, je suis ainsi faite que je ne me sens vivre que quand j'essaie de dire ce que je vis. Et que je n'ose me croire amoureuse que quand je suis capable de dire comment je le suis.
                                                                                             
                                                                                   " L'Amant" - Mireille SORGUE