mercredi 5 décembre 2012

Récitatif - Guy Brémond




« Nous ne sommes pas des gens compliqués… »

[...]D’abord elle se lève aux aurores, comme une fleur ; elle est la seule à partir ainsi au petit matin [...] Ensuite, toujours comme une fleur, elle devient entre les arbres, pareille à un grain de pollen entre les pattes d’une abeille [...] Donc une jeune fille qui aime avec passion (là encore, la plupart n’y voient que du feu) notre petit pays, sa rivière, ses châtaigniers. Il n’en faut pas plus pour nous émerveiller[…]Mais ce n’est pas tout. Elle nous gâte ! À telle enseigne que tous les lauriers (scolaires) qu’elle remporte viennent sans autre forme de procès se poser comme des colombes sur nos têtes[…]Insistons : cette élève, cette étudiante, cette jeune fille, qui aujourd’hui est une jeune femme, nous fait vraiment honneur. Ses succès, qu’elle aurait tendance à sous-estimer, nous feraient littéralement casser la baraque – si toutefois nous ne savions nous retenir à nos conventions qui font la noblesse de nos actions. […]Pour en finir avec ce tableau d’honneur doublé d’excellence, disons qu’elle obtient haut la main toutes les premières places. Des positions qu’elle occupe avec beaucoup d’élégance, élégance d’esprit, élégance de sentiment, sans oublier son élégance féminine[…] 

Elle rencontre (elle a dix-neuf ans) l’amour[…]Plus exactement un homme. Autrement dit tout ce qu’il y a de plus naturel[…]notre jeune fille est discrète, pudique, secrète. Non qu’elle dissimule, du tout ! Seulement elle pratique spontanément le fameux adage : pour vivre heureux vivons cachés. Et comme chacun sait, les gens heureux n’ont pas d’histoire. En tout cas ils n’en font pas. Ou à peine, tout juste des vaguelettes. Bien sûr, on sait de quel homme il s’agit. On l’a même vu. On apprend que notre demoiselle monte parfois à Paris, tandis que l’élu de son cœur descend la rejoindre pour les vacances[…]ils s’écrivent copieusement […]Pour notre jeune fille, ces lettres sont l’oxygène de son âme.

Ces deux derniers mois[…]Certes, elle se lève toujours aux aurores, elle part toujours marcher dans nos chemins, dans nos sous-bois. Elle n’est cependant plus tout à fait la même. Ce n’est pas qu’elle ne nous salue pas, bien sûr que si, ni qu’elle ne s’arrête pour une causette, bien sûr que si[…] On la regarde, on l’observe, on la reluque, on l’apprend par cœur, et on reste Gros-Jean. On pousse même le bouchon jusqu’à la héler, l’approcher, jusqu’à scruter son visage sérieux, jusqu’à faire preuve de sans-gêne en enfonçant notre regard de vieux limier dans ses grands yeux nets. Mais il n’y a rien à faire, ils sont trop pleins de choses qu’on ignore pour qu’on puisse aller bien loin. On a beau la voir marcher dans la rue, contourner l’église, dire bonjour à madame Sugère (la sœur de l’épicière), monter le chemin, et même se retourner pour nous faire un petit signe alors qu’on se croyait invisible, on ne sait rien d’autre. Total : non seulement on se prive de jouissance, mais par-dessus le marché, on se retrouve malheureux comme une pierre. De sorte qu’on s’avise soudain qu’on tient dur comme fer à la gaîté, au bonheur de notre jeune femme. On l’aime.

           


Extrait d’un texte de Récitatif  - Guy BREMOND

lundi 3 décembre 2012

"Pas du tout"



 
 
[18 mai 1964]
 
 
Une marguerite que j'effeuillais par jeu m'a dit que tu ne m'aimais "pas du tout". Je ne l'ai pas crue : je ne te croirais pas toi-même si tu me le disais...
 
 
Extrait de Lettres à l'Amant - Tome II

"Il bruine, on pourrait être triste..."

 
 
[29 février 1964]

Il bruine, on pourrait être triste...
Mais l'amour est au fond du jour, brume
blottie, brume dorée, où de brefs
instants je repose ma tête qu'ennuient
les leçons... 

Samedi, et demain dimanche. Tout
à l'heure la maison tiède,la maison
laborieuse. Tout à l'heure Manou
m'accueille...

Il faut que je parte, laissant ici tous
gages précieux, dans la malle aux trésors;
je pars, je reviens,
                mais immobile, au milieu
du soleil, du soleil tempéré de l'attente,
je te quitte, je te retrouve,
je suis toujours auprès de toi.

Moelleuse, profonde, pour ton repos;
et pour l'oubli, pour l'éternité présente et
promise,
grave naturellement, mais naturellement
légère et toute malice -- Je ne t'embrasse
pas,                ou bien sur le bout du nez.
Mon amour. 

Extrait des Lettres  à l'Amant - TomeII





Dualité - Le yin et le yang

 
 
 
 
 
 
 
Le yin et le yang
Le tao engendre dans le monde incarné des opposés à interaction réciproque: le yin et le yang.
Yin et yang sont les deux pôles du monde phénoménal. Yin et yang s'attirent mutuellement mais se repoussent aussi mutuellement. Tous les phénomènes sont éphémères, leurs proportions yin et yang variant constamment. Rien n'est totalement yin, rien n'est totalement yang.
Tous les corps physiques sont yang au centre et yin à la périphérie.
Le yin a pour caractéristiques la douceur, la passivité, la féminité, les ténèbres, la vallée, le pôle négatif, le non-être.
Le yang a pour caractéristiques la dureté, la masculinité, la lumière, la montagne, l'activité, le pôle positif, l'être.
Toute énergie est manifestée dans cette dualité.
 

L'Aimant : Dipôle magnétique


 
 
[14 février 1964]       
 
[...] De garçons, je ne m'en approche pas; ils sont absents d'ici-bas, à mille et mille lieues de moi. A quoi servent-ils. Le sais-tu, toi? Espèce asexuée. Pas la moindre attraction. Ce n'est pas comme un certain Minou qui, bien qu'à distance considérable, aimante Mimi et la fait battre, osciller comme une aiguille folle sur sa tige.
 
Extrait de Lettres à l'Amant- Tome II



 
 
Dans l'Antiquité, selon Plutarque , la pierre d'aimant s'appelle os d'Horus & le fer os de Typhon
Pline l'ancien écrivait : « Il y a auprès du fleuve Indus deux montagnes, dont l'une retient et l'autre repousse toute espèce de fer (XXXVI, 25); de la sorte, si l'on porte des clous aux souliers, dans l'une on ne peut pas retirer son pied, dans l'autre on ne peut pas le poser. »
Tout barreau aimanté s'oriente naturellement dans la direction nord-sud suivant les lignes du champ magnétique terrestre, pour peu qu'on lui laisse un axe de rotation libre de toutes contraintes. Cette propriété est la base de l'utilisation des boussoles.
Les aimants permanents contiennent presque toujours des atomes d'au moins un des éléments chimiques suivants : fer, cobalt ou nickel, ou de la famille des lanthanides (terres rares).
Lorsqu'un objet en fer est attiré par un aimant, il devient temporairement un aimant ; c'est l'aimantation induite
En physique, le champ magnétique se traduit par l'existence d'une force agissant sur les charges électriques en mouvement (dite force de Lorentz).  La grandeur qui détermine l'interaction entre un matériau et un champ magnétique est la susceptibilité magnétique
Le champ magnétique terrestre est un immense champ magnétique qui entoure la Terre, de manière non uniforme du fait de son interaction avec le vent solaire
vent solaire et magnétosphère
 
Le vent solaire est un flux de plasma constitué essentiellement d'ions et d'électrons qui sont éjectés de la haute atmosphère du Soleil. Ce flux varie en vitesse et en température au cours du temps en fonction de l'activité solaire. Pour les étoiles autres que le Soleil, on parle généralement de vent stellaire
  Le vent solaire étant un plasma, il subit l'influence du champ magnétique solaire (à proximité du Soleil, là où le champ magnétique est fort) mais, de par son mouvement, rétroagit avec les lignes de champ, et les déforme (là où le champ magnétique est faible). À cause de la combinaison du mouvement radial des particules et de la rotation du Soleil, les lignes de champ magnétique solaires forment une spirale : la spirale de Parker.

 
La magnétosphère terrestre s'oppose au vent solaire comme le fait une culée de pont vis-à-vis du courant de la rivière. Elle nous protège contre le vent solaire et agit comme un bouclier. La magnétosphère, qui devrait ressembler à un dipôle, est déformée par le vent solaire. Elle est compressée du côté diurne alors qu'elle s'étend à de grandes distances du côté nocturne.
On parle de dipôle magnétique pour désigner un pôle et son homologue inséparable. Un pôle magnétique, contrairement à un pôle électrique, ne peut pas être séparé de son homologue
Et si l’Amour révélait à l'humain son état de dipôle magnétique ?  







mardi 13 novembre 2012

Déchirements




Nicolas De Staël


"Je vais aller sans espoir jusqu'au bout de mes déchirements, jusqu'à leur tendresse."
 
                                                                                                            Nicolas de Stael


Rainer Maria Rilke - Monde intérieur


Marc Loy - Les deux mondes







Rilke… écartelé entre deux lieux, celui secret auquel il aspirait, un monde d’ailleurs, d’infini, de beauté insaisissable, de silence, de pureté, d’intériorité, de vide, de la quête de l’origine… et l’autre… à partager avec ceux, celles qu’il aimait et qui, alors, l’exilaient du premier. Son écriture est imprégnée de cet éternel vacillement, de ce chaos, de cette lutte, de cette blessure d’être.
Dans un fragment de lettre, ces lignes bouleversantes très proches de celles citées dans le livre édité par Allia :

« Lorsque je te dis où était mon sentiment du monde, ma félicité terrestre, il faut que je te l’avoue : ils se sont toujours situés hors du temps, dans les instants rapides, profonds, de cette divine intuition (…) et lorsqu’on s’aimait c’était cela qui commençait par disparaître… »

Etre avec l’autre et le fuir, aimer et fuir l’amour. Retourner à ses rêves, à sa solitude, à ses écritures. Entrer dans son monde intérieur et écouter brûler son âme.
Quelle étrange vie, quelle étrange écriture.
Son épitaphe : " Rose, ô pure contradiction, volupté de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières. " A l'ombre d'un rosier qu'il pria que l'on plante sur sa tombe.



vendredi 9 novembre 2012

Dernier souffle

Dessin de Eff Ji
 
 
« Et la fin sera pareille à celle de l’oiseau qui s’épuise
contre les barreaux jusqu’à son dernier souffle. »
 
(Lettres à L’Amant, tome I )

 
 

mercredi 7 novembre 2012

"l'amour est masochiste..." - Blaise Cendrars








L'amour est masochiste. Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d'angoisse des amants, cet état d'attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à peine exprimée, ces mille inquiétudes au sujet de l'absence de l'être aimé, cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d'humeur, ces rêvasseries, ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l'amour-propre sont en jeu, l'honneur, l'éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus nerveux, ces écarts de l'imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle des sens qui fouaillent et qui fouillent, cette chute, cette prostration, cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du diminutif, cette familiarité, ces hésitations dans les attouchements, ce tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont progressant, jusqu'à la complète inhibition, la complète annihilation de l'âme, jusqu'à l'atonie des sens, jusqu'à l'épuisement de la moelle, au vide du cerveau, jusqu'à la sécheresse du cœur, ce besoin d'anéantissement, de destruction, de mutilation, ce besoin d'effusion, d'adoration, de mysticisme, cet inassouvissement qui a recours à l'hyperirritabilité des muqueuses, aux errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l'amour d'après lesquels on peut diagnostiquer, puis tracer d'une main sûre le tableau clinique du masochisme ?

Blaise Cendrars
Moravagine, p.61
Le Livre de Poche, n° 275, Paris, 1960

lundi 5 novembre 2012

Débordements









"Je suis assaillie par des sentiments démesurés,
des joies déchirantes et des chagrins trop lourds,
et  je grandis par soubresauts,
avec véhémence et incohérence, 
faisant souffrir à mon tour, par mes débordements,
ceux que j'aime."
                                                                                                          Mireille Sorgue